Un homme vit au bord d’un désert, abandonné par sa famille, confronté à ses souvenirs lointains… Un récit symbolique et mélancolique interdit pendant 23 ans par le régime soviétique… Une grande puissance formelle au service d’une violente charge sociale…
Dès les premières images, Une source pour les assoiffés impose la beauté de sa photographie. Une légère surexposition rend parfaitement le climat désertique. Le noir et blanc est lumineux. Les attributs physiques du vieux héros – longue chemise, barbe… – concourent à faire primer le blanc sur le noir. De bout en bout du film, la pellicule est comme irradiée. Avec même un processus de solarisation pour représenter la famille disparue du vieil homme.
À l’intérieur de cette trame à forte luminosité, Youriï Illienko introduit quelques inserts plus sombres. Lorsque le noir prend le pas sur le blanc, il s’agit toujours de gros plans de visages burinés par la vie au grand air, essorés par l’indigence subie, parfois striés de larmes. On pense à Pelechian, autre cinéaste majeur de la large zone d’influence soviétique, à cette tentation permanente du documentaire, à cette mystique du paysan gagne-petit.
Procédant par symboles, à grand coup de plans-séquences, avec une quasi-absence de paroles qui fait tendre le film vers le muet, Youriï Illienko arrive néanmoins à conserver une trame narrative solide. Chez lui, pas besoin de mille lignes de dialogue pour signifier la solitude d’un homme abandonné par ses proches : il se contente de filmer ce même homme retournant les photos de famille contre le mur. Pas d’utilité non plus à disserter des heures sur l’envie d’en finir du héros : il lui suffit de le montrer construisant un cercueil.
De la même manière, le propos politique est limpide. Il est évident que les autorités soviétiques n’avaient aucun intérêt à ce que soit diffusé un film où le pouvoir politique en place est accusé de laisser mourir de soif les plus ruraux de ses concitoyens, où le seul acte effectué à leur égard est d’apporter sur place une statue de propagande, où la résistance armée à l’oppresseur est noyée dans le sang…
Bien sûr, cette démarche très largement esthétisante n’est pas sans sécheresse. Et le spectateur doit lutter pour ne pas décrocher du film et partir dans ses propres rêveries. Mais c’est aussi un des raisons d’être du cinéma que de pouvoir emmener loin du quotidien, de prendre le risque de l’ennui, de proposer un possible ailleurs sans que la pensée soit contrainte dans un carcan prédéterminé à grands renforts de musique tonitruante ou de montage saccadé, laissant libre cours au vagabondage de l’esprit.
De nos jours, un Nuri Bilge Ceylan a repris à son compte cet héritage. La même maîtrise de l’image, le même goût du cadre soigné, la même rareté des dialogues, la même âpreté des sentiments… Sa force supplémentaire est d’avoir réussi à greffer sur cette forme travaillée une dramaturgie complète avec des personnages largement plus charnus.