Nous n’allons pas tous mourir tout de suite. Mais pensons aux générations suivantes, aux enfants à qui nous allons léguer une bombe à retardement. C’est la principale vocation de ce « documentaire » (le mot est un peu usurpé) : cependant, cette louable intention est constamment parasitée par le « ramener à soi » d’Al Gore. Celui-ci a des amis scientifiques qui l’ont convaincu des malheurs de la planète bleue, il fait rire l’auditoire, il raconte qu’il avait un poney à treize ans, et que la défaite face à Georges W. Bush lui a fait beaucoup de peine… Il est toujours intéressant de prendre conscience de faits réels et nuisibles à l’environnement. Mais Une vérité qui dérange est bien trop construit comme une comédie basique à l’américaine – du rire, des souvenirs, des larmes, des effets spéciaux – pour ne pas agacer à la longue.
Présenté à Cannes, à Sundance, à Deauville, le film de Davis Guggenheim a reçu tous les applaudissements et standing ovations nécessaires à ce genre de documentaires à sensation : toute critique va probablement être immédiatement taxée d’anti-américaine ou, pire, d’indifférence, au sort de la planète. Et pourtant, on ne peut être totalement convaincu par un tel déferlement de sentimentalisme et d’effets bien dramatiques.
Les faits scientifiques sont, eux, indéniables, et pour le moins intéressants : le réchauffement de l’atmosphère est bien réel et du à l’activité humaine. Quelques chiffres alarmants nous parviennent donc durant le film : le nombre d’ouragans de catégories 4 et 5 a quasiment doublé en trente ans ; la fonte des glaces du Groenland a presque doublé en dix ans… Mais les effets climatiques se ressentent également sur la vie humaine et végétale : le paludisme s’est à présent installé dans certaines régions montagneuses, chose impossible jusqu’alors, notamment dans les Andes. De même, plus d’un millier d’espèces animales auront probablement disparu d’ici 2050. Les sécheresses vont s’accumuler, la fonte des glaces va envahir les continents.
Voilà pour la leçon. Nécessaire et justifiée. Le fond est indiscutable, mais nous somme au cinéma, attendons un documentaire, et la forme pèse sur une argumentation. Et ce sont les caractéristiques de cette dernière qui dérangent assez vite : après deux ou trois blagues plus ou moins drôles d’Al Gore, on nous montre des schémas. Al Gore sillonne lui-même les États-Unis depuis cinq ans pour prêcher la bonne parole : ses conférences ont commencé après la défaite aux élections présidentielles de 2000. Et ces deux assistants ont eu la bonne idée d’en faire un film. Entre deux séances de prosélytisme, Al Gore raconte son parcours politique, son enfance au milieu des vergers, à grands coups de photos jaunies, et de plans grandiloquents. Le producteur Jeff Skoll déclare à ce propos : « Al Gore présente les faits d’une manière originale, fascinante, divertissante et terrifiante. Son but est clairement de sortir de la politique partisane. »
Effectivement passent à l’as tous les mouvements écologistes et politiques, les diverses manifestations qui existent de par le monde. Il y a Al Gore, certes, passionné par son sujet depuis les années 1970. Mais tant de qualificatifs de la part du producteur ne manqueront pas de mettre la puce à l’oreille des lecteurs de cet article : en effet, les adjectifs utilisés auraient pu l’être pour n’importe quel film à sensation. Le choix même du réalisateur, Davis Guggenheim, qui vient de la télévision (il a réalisé entre autres des épisodes des séries The Shield, Deadwood ou The Unit), prouve cette volonté d’utiliser la forme de la fiction pour parler d’une réalité scientifique. C’est le plus gênant.
On apprend quelques petites choses, et certains prendront sans doute conscience des enjeux de la protection de la planète. Mais les amateurs de documentaires construits seront déçus de constater que cette Vérité qui dérange est moins le centre du film qu’Al Gore, véritable bête de spectacle, et que les arguments passent à la trappe au milieu des nombreuses digressions symptomatiques de celui-ci.