La jeune Lituanienne Kristina Buožytė s’est faite remarquer dès son film de fin d’études. Après un long métrage inédit en France, Vanishing Waves sort auréolé d’une belle vie en festivals. Une science-fiction froide et romantique.
Les codes sont là. Blouses blanches éparpillées, informaticiens rivés à leurs machines, de grandes salles vides, design fils électriques, alvéoles de plastique blanc, une baignoire ressemblant à un caveau. L’expérimentateur frissonne au contact du casque d’électrodes qu’on ajuste à son crâne. Il s’immerge dans le caveau, on ne manque pas de le refermer, et c’est parti.
Difficile et intrigant, en 2013, pour un non-spécialiste du genre, de faire face à un film de science-fiction minimaliste, ovni lituanien qui débarque en salles avec un naturel désarmant. Les codes sont là, et de grosses figures élémentaires l’accompagnent. Dès le début du film, l’expérimentateur s’esquinte les yeux toute la nuit à la maison et oublie la main de sa femme sur son épaule. Le couple vacillant est posé. Epaulé chaque jour par une équipe de scientifiques avec qui il ne partage pas grand-chose, il plonge dans le sommeil pour entrer dans l’univers mental d’une femme tombée dans le coma suite à un grave accident de voiture qui a tué son mari. Rapidement, l’expérience fonctionne, les formes abstraites initiales laissent place à des éléments concrets, souvenirs, rêves. L’histoire commune commence, qui le verra bien évidemment tomber fou amoureux d’elle.
Ce canevas classique rebute, parce qu’il passe outre un siècle de cinéma fantastique et de science fiction, qu’il semble non pas éviter tout maniérisme mais carrément en faire abstraction. Pourtant, il faut dire que pour son second long métrage, la mise en scène de la jeune Kristina Buožytė fonctionne. Pas d’inventivité particulière mais une rigueur, une sécheresse qui emporte, grâce aussi à l’univers visuel central de Bruno Samper. On y voit notamment une étonnante maison en bois au bord de la mer, dont la partie arrière se déstructure progressivement jusqu’à ne devenir qu’un enchevêtrement de planches, à l’image du cerveau emmêlé de la jeune femme accidentée.
Vanishing Waves s’en sort bien pour colporter d’aussi lourds éléments. Il assume également plutôt bien un romantisme forcené. Le couple du rêve se roule nu – littéralement, comme le ferait un enfant sur un flanc de colline – sur le parquet d’une chambre ensoleillée, encouragé par un fond de chants grégoriens. Passe moins facilement un goût plutôt gratuit pour le bizarre, dont une bataille de nourriture noirâtre et de fluides gluants (poulpe, soupe noire, caviar…) qui finit en automutilation. Les personnages sont ainsi posés dans des ambiances maîtrisées, mais rarement justifiées. C’est l’avantage des rêves, dira-t-on, il est toujours possible d’en sortir arbitrairement.
Que raconte finalement Vanishing Waves ? Une histoire simple, comme souvent dans les univers compliqués. L’histoire d’un homme qui est attiré par l’ailleurs. Un au-delà de la réalité, un au-delà du couple dans lequel il se perd. Une chronique personnelle de l’infidélité inévitable et destructrice. On pourrait également y trouver une critique politique de l’individualisme à travers cet homme qui trahit son équipe et qui échoue, seul, avec pour unique rédemption une ouverture vers l’autre à la dernière minute. À Vilnius en 2013, quand on a 30 ans comme Kristina Buožytė, que ressent-on de l’Europe, des pays à l’Est, du passé et du présent que porte leur identité ? Au moins l’audace de la reformuler avec maîtrise et une riche imagination.