Le père arrive à la gare maritime, sa fille vient le chercher. C’est pourtant son fils qu’il est venu voir, ou plutôt trouver, car celui-ci a disparu sans laisser de traces. Au travers de la quête du fils, Wang Chao nous montre une Chine contemporaine loin des clichés d’archaïsme architecturaux et toute proche des inégalités dont l’un des derniers pays communistes est l’exemple. Voiture de luxe, un titre significatif, est le dernier volet d’un triptyque après L’Orphelin d’Anyang et Jour et nuit, et le dernier épisode décline une nouvelle fois l’obsession de son réalisateur pour la question de la transmission des valeurs en temps de crise économique.
Comme un jeune voyageur qui partirait découvrir l’Amérique, Li Qi Ming arrive à Wuhan par le bac. Il y retrouve sa fille, Yanhong, belle et moderne en apparence. Mais son père a gardé une capacité d’espoir et d’émerveillement que la fille n’a plus. Car dans le Chine de Wang Chao, les disparités sont économiques mais également générationnelles. Il est venu chercher son fils disparu, il trouve une fille prostituée qui a honte de la condition de vie qu’elle a tant désirée.
La femme de Li Qi Ming est malade, elle veut revoir son fils avant de mourir. Il est instituteur et fait partie d’une génération où l’on s’entraide encore car cette même génération a vécu la Révolution Culturelle et ses cortèges de victimes sous Mao. Il rencontre ainsi un policier qui va l’épauler dans ses investigations. Wang Chao a décidé de bien distinguer les deux classes d’âge : il filme le père et son nouvel ami dans le même cadre, alors que Yanhong est perdue dans la foule des vélos et des êtres humains. Père et fille ne peuvent comprendre les choix de vie de chacun : elle a choisi une ville anonyme, lui n’a pas choisi de vivre à la campagne (il a été contraint de s’y rendre dans sa jeunesse pour être « rééduqué ») mais y a creusé son trou et fait profiter le village de ses connaissances.
La question de la transmission était déjà au cœur de L’Orphelin d’Anyang où une prostituée abandonnait son enfant à un chômeur contre une partie de sa paye. C’est encore ici une Chine où la croissance économique n’a pas fait que des heureux : le vieil instituteur tente de comprendre la vie de sa fille sans en percevoir le glauque. Celle-ci tente de la lui cacher en en comprenant que trop bien la misère. Il est impossible dans ces conditions de transmettre des valeurs, d’enseigner un mode de vie pour l’instituteur. Il n’est ni moralisateur, ni méprisant. Il a un but, trouver son fils, et restera en dehors d’une société urbaine qu’il ne connaît pas et dont l’anonymat renvoie à l’absence de l’être aimé. Le travail sur les sons citadins ajoute d’ailleurs à la particularité d’une atmosphère bouillonnante et cloisonnante à la fois, tant le bruit est vivant et perd les humains qui y sont plongés.
Wang Chao insiste en ce sens sur la notion de transport, ou plutôt de passage : Li Qi Ming arrive par la mer, se déplace à vélo ou en voiture, il n’est jamais installé dans la ville, elle-même en mouvement permanent, sans aucune notion de repos ou de tranquillité. En transit, le protagoniste cherche, acteur d’un rituel, jusqu’au moment où il connaîtra la vérité. Le réalisateur chinois nous montre une Chine de gratte-ciels, d’activités, mais tous ces symboles de modernité sont, en quelque sorte, cassés par l’irréparable fossé politique entre les générations, et l’immense fossé économique encore existant entre les êtres. Cette Chine-là est schizophrène : les robes élégantes qu’on y porte le sont pour travailler dans un lupanar, et les jeunes filles amatrices de sous-vêtements n’ont ni douche ni eau courante.
Wang Chao lui-même a fait ses études à la ville, quittant le domicile familial : il raconte que, lorsque sa mère a été opérée pour un cancer, il n’a pas été mis au courant par ses parents, qui craignaient que cela ne l’empêche de travailler correctement. Entre amour de l’effort et tradition du silence, la Chine telle qu’elle est filmée par les Chinois semble pleine de ses contradictions entre le système hérité du passé et le poids d’une contemporanéité modernisante. On peut à ce propos noter qu’il a été l’assistant de Chen Kaige. Et Wang Chao en a profité pour rendre un hommage aux aînés qui ont vécu l’horreur et ont gardé leur humanité et leur innocence.
S’associant au courant du « réalisme chinois », Wang Chao ne livre pas un documentaire sur la vie actuelle de la Chine. Il crée de multiples allégories pour la définir, et la critique pour mieux l’aimer. Film d’auteur, film à la narration ultra construite et procédant par étapes, Voiture de luxe avait obtenu en mai le prix « Un certain regard » à Cannes. C’était mérité.