Wedding Doll correspond typiquement au genre du « petit film étranger » qui, en dehors de quelques festivals (Toronto), n’est pas destiné à sortir de son cadre national (Israël), mais qui par la magie des distributeurs français, se trouve catapulté dans quelques salles, où il rencontrera l’intérêt de spectateurs particulièrement avertis. C’est aussi typiquement le genre de « petit film » qui met le critique devant le dilemme de l’œuvre réalisée avec les plus belles intentions du monde, par un(e) cinéaste au talent prometteur, mais sans la profondeur et l’intensité qui donneraient envie de le défendre envers et contre tout. Malgré tout, Wedding Doll est aussi un film touchant, qui doit beaucoup à sa radieuse interprète principale.
La beauté du handicap
Hargit, 24 ans, vit avec sa mère dans une petite ville israélienne au bord du désert du Néguev. Comme de nombreuses jeunes filles de son âge, elle rêve de son marier. L’élu de son cœur est le fils du propriétaire de l’usine de papier-toilette dans laquelle elle travaille. Petit problème : Hargit est aussi légèrement handicapée mentale, ce qui lui vaut des railleries constantes du voisinage mais également un amour étouffant de sa mère, qui veut à tout prix la protéger. La réussite principale de Wedding Doll est à la fois de ne pas accentuer le handicap de son héroïne ni de l’édulcorer pour en faire un « film à message ». La preuve ? La grande beauté de l’actrice, qui tue dans l’œuf une quelconque volonté de forcer l’apitoiement du spectateur sur elle. Légers problèmes de langage et démarche hésitante (objet de quelques plans discrets) sont les seuls signes réellement concrets du « problème » de l’héroïne.
Nitzan Gilady, dont c’est le premier long métrage, choisit évidemment de dénoncer la bigoterie imbécile typique des petites villes reculées, en Israël ou ailleurs (ici, la nationalité du film importe peu), notamment à travers une dernière scène déprimante où Hargit, trahie par l’homme qu’elle aime, ne peut que constater la naïveté de son amour. Beau personnage que cette femme-enfant, qui aime confectionner des poupées et voudrait vivre son mariage comme dans un conte de fées, à l’ancienne, mais, paradoxalement, que les autres enfants terrifient, notamment une petite fille de son immeuble qui la poursuit d’insultes et de menaces. À « l’adulte » alors de s’approprier l’innocence quand l’enfance se targue de cruauté.
La prison du handicap
Mais c’est surtout dans la relation mère/fille, traitée avec délicatesse, que le cinéaste réussit à convaincre. La mère d’Hargit, de fait, la surprotège, notamment depuis un incident dont le spectateur ne connaîtra que quelques détails épars. Hargit, elle, cherche à briser ce lien qui l’étouffe pour pouvoir enfin prendre cet envol d’adulte que la vie persiste à lui refuser — pour réaliser, sur la fin du film, que la mère a créé chez elle un besoin dont elle ne peut plus se passer. Ce sont donc deux prisonnières dont Nitzan Gilady brosse le portrait ; la mère refusant de placer sa fille dans une institution, elle doit aussi abandonner toute perspective de vie amoureuse — Hargit étant tout aussi jalouse de son affection.
On pourrait voir dans les panoramiques (splendides, au demeurant) sur le désert du Néguev une métaphore peu subtile sur l’étouffement des deux héroïnes et tiquer sur de nombreux effets de cadrage d’élève appliqué ; on choisira plutôt de retenir de Wedding Doll sa tendresse mâtinée d’humour, à l’image de la robe de mariée mi-enfantine, mi-haute couture, confectionnée par Hargit à l’aide de rouleaux de papier toilette. Mais retenons surtout un nom : Moran Rosenblatt, divine interprète de 25 ans, qui irradie de sa grâce ce « petit film » charmant.