Premier long-métrage du Britannique Dominic Murphy, White Lightnin’ est un produit pour festivals plutôt agaçant. Prétendument subversif et provocant, ce film, inspiré de la nouvelle autobiographique d’un certain Jesco White, se perd dans le délire funeste d’un junkie à la violence compulsive. Par sa sophistication visuelle éculée et sa complaisance dans une violence gratuite, White Lightnin’ rappelle amèrement le maladroit Bronson (Nicolas Winding Refn, 2009).
En Virginie occidentale, dans les entrailles des montagnes Appalaches, le jeune Jesco White vit dans une caravane crasseuse, au sein d’une famille nombreuse, que les apparences laissent penser cousine des montagnards de Délivrance (John Boorman, 1972). Noyant dès son plus jeune âge la vacuité de son existence dans les effluves d’essence, Jesco multiplie les séjours dans une maison de correction aux méthodes totalitaires, avant de passer son adolescence en asile psychiatrique. Ne sachant pas comment protéger de lui-même ce délinquant précoce en pleine autodestruction, D. Ray White, danseur de musique country, initie son fils à une pratique survoltée des claquettes. Jesco montre des prédispositions évidentes pour cette activité qui lui permet à l’âge adulte de connaître un succès d’estime dans les bars où il se produit à travers le pays. Mais l’addiction refait toujours surface et, avec elle, les élans de violence d’un Jesco possédé par ses démons intérieurs, au point de ne pas prendre la mesure des drames familiaux : comme la perte de ce père aimant, tué sauvagement par deux ivrognes sadiques. Quand Jesco réalisera la violence de cette disparition, l’envie de vengeance décuplera son agressivité et sa folie.
En quoi Jesco White est-il une légende ? Si c’est en tant qu’artiste maudit, le film ne le montre que très peu pratiquer son art. White Lightnin’ constitue surtout une ode à un super junkie. Au-delà de toute question morale, est-ce suffisant pour faire un film ? La minceur du propos est artificiellement gonflée par une batterie d’effets esthétiques et narratifs relevant du cache-misère. Choix visuels proches du cliché, l’épaisseur du grain de l’image et la désaturation des couleurs entendent souligner l’âpreté de l’univers de Jesco (au cas où on ne comprendrait pas de suite que vivre dans une caravane dans un bled virginien, c’est la misère profonde). Le film s’organise au rythme de la déchéance graduelle de son « héros romantique ». Ainsi de longs passages au noir chapitrent sa descente infernale, accompagnés d’une voix over didactique et peu constructive. Maladroit et inconsistant, White Lightnin’ relève de l’arnaque facile : attention, vous allez voir, ce type est vraiment incorrect, il est halluciné et hallucinant, il fait des trucs pas catholiques sous ses airs messianiques ! Qui pense-t-on encore choquer aujourd’hui avec du trash aussi surfait ? Ca cogne, ça saigne, ça se drogue, ça crie, et alors ? Trop de trash tue le trash : on finit par s’ennuyer sévère sans comprendre jusqu’où Dominic Murphy veut « aller trop loin ». Au-delà de la seule démonstration, il serait bon d’avoir aussi quelque chose à dire. Dominic Murphy a clairement été hypnotisé par le vrai Jesco White qu’il a rencontré à plusieurs reprises. Car celui-ci est toujours vivant, contrairement à son double diégétique, construit comme une figure sacrificielle mystique, à grands renforts d’iconographie christique (d’un goût douteux vu le vide spirituel du personnage). Murphy ne parvient pas à sortir d’une forme de fascination aussi béate que ridicule. Ce qu’il manque au déballage d’images glauques qu’est White Lightnin, c’est tout simplement un point de vue ! Le détail est de taille.
Il est presque comique de savoir que le film a été récompensé d’un Hitchcock d’Or au festival de Dinard, quand on voit avec quelle maladresse Murphy cite Psychose dans cette scène où Jesco attaque Cilla, sa blonde compagne au corps vieillissant, sous la douche, avant de préférer retourner le tesson de bouteille qu’il brandit contre lui. Edward Hogg, convaincant dans ce premier rôle principal de sa jeune carrière, et Carrie Fisher, touchante dans un rôle de quinquagénaire à la dérive, s’investissent avec courage dans des personnages bancals. Il est vrai qu’Edward Hogg constitue une bien belle trouvaille. Avec son corps maigrelet et son visage d’ange, cet être fin et gracieux donne corps à une créature à l’aspect polymorphe, mystérieuse et effrayante, fragile et touchante. Certes, il se prête parfaitement à l’incarnation du schizophrénique Jesco. Mais c’est beaucoup d’irresponsabilité que de le laisser porter seul ce film délirant sur ses frêles épaules.