Yo, También choisit très vite son camp : entre l’ascétisme et le pathos luxuriant, il opte pour la sobriété. Ou comment parler de trisomie 21 et de frustration sans appeler en renfort les bons sentiments bien dégoulinants. Revers de la médaille : élaguer équivaut parfois à assécher. En voulant épargner au spectateur les tics mélodramatiques du genre, le film maintient à l’écart son spectateur, comme en retrait face à une expérience clinique. Ce n’est théoriquement pas inintéressant. Reste à savoir si cela procure quelque plaisir…
Pablo Pineda est diplômé – Bac + 5 en psycho-pédagogie – et employé à la mairie de Malaga. Les débouchés étant de plus en plus rare en sciences humaines, il convient de saluer chaleureusement cette jolie insertion professionnelle… Pourtant, le plus surprenant n’est pas là : Pablo est trisomique. Et Pablo existe vraiment, il est même le premier atteint de ce syndrome à poursuivre aussi loin ses études. Álvaro Pastor et Antonio Naharro se sont inspirés de ce cas surprenant pour écrire une fiction. Après plusieurs essais infructueux, ils se sont rendus à l’évidence : Pablo Pineda est le seul à pouvoir tenir son quasi-propre rôle. Au risque de rendre schizophrène un trisomique.
Daniel est donc un Pablo-like, employé d’un service social à Séville, diplômé en sciences de l’éducation… Il rencontre sa collègue Laura lors de ses premiers jours de service, ces deux-là ne vont plus se quitter et forment un drôle de duo. Les quolibets moqueurs et l’incompréhension ne tardent pas à poindre dans leur entourage. Daniel est lui-même perturbé, réalisant inopinément qu’une histoire avec une femme « normale » n’est peut-être pas hors d’atteinte. Tout le nœud de ce récit tourne autour du même pot, celui de la frustration et du désir contrarié.
Frustration car Daniel court après la norme : études, emploi, femme, maison. Comme tout le monde. Ayant réalisé les deux premières étapes, il se confronte à ce qui fait encore écran à ses ambitions, une vie sexuelle. Refusant d’aller avec une femme « comme lui », Daniel est confronté à l’abstinence qu’il compense par une addiction pornographique. À l’opposé, Laura s’offre sans conséquence aux aléas de soirées opiacées. Ce qui les rejoint est ainsi une clef scénaristique qu’on qualifiera généreusement de compassée, la dérégulation du désir. Si cette question semble émoustillante pour nombre de commentateurs bienheureux de pouvoir affirmer courageusement que la sexualité appartient aussi aux trisomiques, il ne faut pas oublier qu’elle était déjà au centre du gentillet Huitième Jour, celui-ci ne brillant pourtant pas par sa finesse. Ce qui est le plus perturbant est la jonction de cette question à une esthétique portée par une lumière cadavérique en intérieur et fanée en extérieur. Comme si la sexualité portait en elle un parfum mortifère. Étrange. Cette neurasthénie photographique dérange.
Et c’est peut-être ce qui sauve le film de l’ordinaire : sortir de la bien-pensance un peu naïve pour tirer vers la grise mélancolie. Celle-ci nous tire la manche, inconsciemment, comme un garde-fou contre l’indigne complaisance. Le spleen du film est cependant plus neurasthénique que rimbaldien. Alors oui, du coup, on s’ennuie un peu. Mais c’est pour notre bien.