Premier long métrage d’un jeune (33 ans) critique et réalisateur israélien, Youth raconte l’enlèvement d’une riche adolescente par deux frères dont la ruine guette la famille. Alternant les scènes dans l’appartement familial et dans la cave avec la victime, Tom Shoval choisit de montrer un pan de famille et de société israélienne en restant très centré sur son récit.
Comment réussir son kidnapping ?
Un film à ce point centré sur une histoire aussi souvent traitée ne pouvait se distinguer qu’en jouant sur la mise en scène ou un contexte spécifique. Pour le premier élément, elle est aussi efficace que classique. Champ constamment rempli et gros plans oppressants qui nous placent dans la peau du plus jeune des deux frères kidnappeurs, Shaul. Suspense basé sur la tension qui augmente dans les moments calmes puisque la pensée des personnages, et des spectateurs, reste sur le kidnapping. Appui à l’image de facilités scénaristiques mineures qui rappellent surtout la difficulté pour le réalisateur à sortir des rails de son histoire, et donc à proposer un film original. La boucle est bouclée.
Pour ce qui est du contexte, il s’agit en premier lieu d’appuyer la dérive économique des classes moyennes israéliennes, que Shoval décrit comme « en voie de disparition ». Comme beaucoup de sociétés où la famille est le vrai noyau social, on verra surtout le recentrement sur les membres proches à mesure qu’augmentent les difficultés extérieures. Le père a perdu son travail, il s’enfonce dans les dettes. Les deux fils, Shaul, encore mineur, qui travaille dans un cinéma, et Yaki, qui vient de commencer son service militaire, vivent mal la chute de la maison et réagissent agressivement pour sauver leurs parents, sans qu’il soit jamais possible de parler avec eux de la situation. D’où cet enlèvement absurde et si mal mené. La mère, enfin, s’occupe de la maison dès que les boulots précaires lui en laissent le temps et ne voit rien venir de ce qui fera définitivement exploser la cellule familiale. Le plus intéressant ici est le refoulement de la situation, même s’il reste inapprofondi, alors qu’il aurait pu devenir le vrai centre du film. Shoval semble hésiter : faire d’abord un film d’enlèvement, un thriller, ou faire de l’enlèvement un prétexte à une étude de la famille de classe moyenne israélienne.
Deux frères
Les deux frères mutiques sont au cœur du film. Très proche, leur physique trouble : même mine patibulaire marquée par des yeux clairs cernés sous des paupières aux bords rougis qui contredisent leur dureté et les rendent patauds et sympathiques. Ils ne sont pas comédiens, Shoval est allé les chercher dans un kibboutz au sud du pays. C’est qu’il projette sa propre relation à son frère et veut filmer la puissance d’une telle proximité familiale. Ils donnent au film une grande part de sa force, mais l’étude de leur relation est pourtant ratée puisqu’on sent moins leur union que la domination et l’envie qu’impliquent leurs quelques années d’écart. Surtout, leur complicité est sans véritable enjeu.
Le film alterne deux lieux, l’appartement dans les étages, où un repas de famille oblige sourires de circonstance et fausse tranquillité, et la cave où les deux frères s’essayent tour à tour à la violence face à la jeune kidnappée qui se contorsionne en gémissant. Belle symbolique bien visible de l’extérieur tranquille et de l’intérieur violent. La cave est le lieu de l’exutoire, on s’y mesure face à l’autre, on y teste ses limites de cruauté sur une jeune fille à qui on colle de loin l’image d’une société détestée parce qu’aisée, mais qui de près mange la même nourriture, a les même rites, et de plus titille les pulsions érotiques des jeunes mâles.
You are the hero
C’est ici qu’il faut reconnaître à Shoval un savoir-faire dans la gestion de ces lieux opposés, dans sa manière de placer le spectateur à la place des kidnappeurs. A l’exception de la détresse financière des protagonistes, vous aussi ressentirez la peur d’être vu en train de déplacer la nantie entre deux immeubles, de serrer trop fort les liens, de faire trop mal, et l’angoissant vertige du pouvoir de mort, et l’érotisme qui va avec, l’attente insupportable pendant les repas de famille sans fin tandis qu’on ne pense qu’à redescendre voir la fille en bas, qu’à joindre sa famille pour récupérer une rançon qu’on a absurdement fixée à 152 000 dollars. Sachant cela faites votre choix car l’identification du spectateur aux épreuves des kidnappeurs ne va pas sans désagréments, ni quelques facilités scénaristiques pour gagner en suspense.
Rien de totalement nouveau, ni de raté ici. Seule en tous cas restera en mémoire une fine écume, bien plus que l’empathie et les frissons qu’elle procure, à savoir l’image troublante vue de France, de ces jeunes de 18 ans qui se baladent en ville en civil avec leur fusil M-16, boivent des bières, prennent le bus, sans jamais quitter leur arme. Comment accepter de confier un tel pouvoir à cet âge si instable sinon par un mélange de confiance machiste et de peur paranoïaque ? On n’aura pas l’avis de Tom Shoval, juste une dernière scène où les visages bouffis et excédés des deux frères n’avouent rien, mais inquiètent. Le spectateur s’en éloigne avec la caméra, il sort d’eux sous leur regard. Belle fin.