Deux ans après les premières élections démocratiques en Afrique du Sud, le pays tente de se reconstruire, avec la commission Vérité et Réconciliation. Un passé qui ne passe pas, des crimes impunis et la difficulté de donner à son enfant l’espoir nécessaire pour vivre malgré l’injustice. Mené d’une main de maître, Zulu Love Letter raconte tout cela et plus encore.
L’année dernière, au Fespaco (festival panafricain de cinéma de Ouagadougou), le Cannes du cinéma d’Afrique, deux très beaux films sud-africains s’emparaient du thème de l’apartheid. Dans l’un d’eux, Drum, le réalisateur, Zola Maseko, situait l’action au cœur de la période la plus troublée du pays, pendant laquelle un journaliste noir s’infiltrait dans les fermes où ses compatriotes étaient réduits en esclavage, pour ensuite dénoncer cet état de fait dans les colonnes de son journal. Dans l’autre, Zulu Love Letter, l’héroïne est elle aussi journaliste, mais vit dans le Johannesburg post-apartheid, celui de la commission Vérité et Reconciliation. C’est Drum qui remporta l’Étalon de Yennenga, le plus haut prix du festival. Mais dans notre esprit et notre cœur, le prix allait à Zulu Love Letter.
Dans Drum, de belle facture, le réalisateur nous montrait la réalité d’une époque, des faits historiques insupportables. Mais Zulu Love Letter va plus loin, en posant la question du « vivre après ça » et en entremêlant histoire d’amour et de transmission. Il touche davantage à l’humain et, par conséquent, à des sentiments universels, qu’une démonstration historique qui ne va que dans ce sens.
L’histoire filmée par Ramadan Suleman est celle d’une jeune femme moderne : Thandeka, la trentaine, journaliste intransigeante, divorcée et mère d’une adolescente sourde et muette. Dix ans auparavant, Thandeka a été témoin de l’assassinat de Dineo, jeune femme luttant pour les droits civiques des Noirs, par la police secrète du régime de l’apartheid. Me’Tau, la mère de Dineo, retrouve Thandeka dix ans après pour lui demander de l’aider à retrouver le corps de sa fille et à l’enterrer selon la tradition zoulou.
Le film mêle ainsi intelligemment l’histoire et l’engagement politique, l’affirmation de l’identité culturelle, la transmission de la mémoire aux enfants et les relations entre mère et fille. Le réalisateur n’est pas dans la démonstration, mais dans le sensible. Avec ce parti pris, les subtilités émergent, d’autant que le jeu des acteurs et en particulier celui de Pamela Nomwete Marimbe (primée dans de nombreux festivals) est magnifique. Ramadan Suleman et Bhekizizwe Peterson ont écrit un scénario très intelligent et serré. En alternant l’intrigue autour de la recherche du corps, avec les assassins qui rôdent toujours autour des personnages, et les scènes d’amour filial, Zulu Love Letter penche à la fois du côté de l’action et de l’histoire collective, ainsi que du côté des sentiments et des histoires individuelles. Le travail précis sur les lumières (des villes et des campagnes, de la chaleur écrasante de la journée et des lumières de Johannesburg la nuit), le cadrage serré sur les visages, la mise en scène très maîtrisée, ajoutent à la force du film.
Dans ce tissu impeccablement tissé s’ajoute aussi un symbole venant fédérer les différentes dimensions de l’histoire. Celui de la lettre d’amour zoulou ; un grand carré de tissu que brode Mangi, la fille de Thandeka, avec des perles, utilisées dans la société sud-africaine depuis 3000 ans, par les plus puissants comme par les plus faibles. Muette, Mangi utilise ce moyen d’expression puissant puisque constitutif de l’identité d’un peuple, pour redire son amour, si difficile à exprimer, à sa mère.
Ces derniers mois, on a beaucoup insisté sur la vivacité du film politique américain, constatant que les cinéastes français s’emparaient peu de grands sujets politiques. Le cinéma d’Afrique continue, lui, de manier l’histoire de son passé pour les générations futures. Et avec bonheur et beaucoup d’émotion, comme dans Zulu Love Letter. Un film salutaire, alors que l’apartheid est aboli depuis 1991, et que les disparités entre Noirs et Blancs sont, en Afrique du Sud, loin d’appartenir totalement au passé.