« Tu doutes de la puissance de la France ? » demande solennellement, dans Trois de St-Cyr le bel officier au berger syrien qu’il protège contre les hommes d’une autre tribu. Le film ayant été réalisé en 1938 et 1939, il ne croyait pas si bien dire. Le petit coffret de deux DVD, rassemble, à côté de quelques courts documentaires et entretiens d’époque ou contemporains, Trois de St-Cyr et le grand reportage Sommes-nous défendus ? Ces films, tous deux à la gloire de l’armée française, ont paru en 1939 – ce qui suffit à les rendre passionnants.
Trois de Saint-Cyr est un étrange film, mêlant fiction et gloire patriotique avec une franchise assez désarmante. Le canevas dramatique, tissant rivalité amoureuse, code d’honneur, et fraternité de corps est trop surfait pour ne pas agacer. L’intérêt de la première partie, filmée à Saint-Cyr même, avec la participation des étudiants, ne réside guère qu’en la peinture, volontiers potache, de la vie de l’école. La seconde partie prend quelques distances avec les personnages, les sort des murs et les plonge dans une Syrie en révolte contre l’occupant français. Elle est beaucoup plus intéressante, notamment lorsqu’elle traite du rapport ambigu de la population au colonisateur, de la division entre les tribus, de la complexité des enjeux stratégiques et diplomatiques sur le terrain. Elle est même parfois belle avec ses petites cités blanches qui parsèment le désert ; et l’action militaire, plutôt bien mise en scène, et avec des moyens, constitue un objet de plus d’intérêt que les conversations téléphonées des aspirants officiers.
Au film viennent s’ajouter en supplément deux documentaires et deux entretiens, d’intérêt inégal, mais toujours instructifs d’un point de vue historique. Mais le document le plus intéressant de l’ensemble est Sommes-nous défendus ?, grand reportage dressant de manière glorieuse l’état des forces armées françaises. Le pays est à la veille de la guerre, et les français, visiblement, ont besoin d’être rassurés. Le film entend démontrer la puissance militaire de la France, mais il révèle aussi, par certaines de ses insistances, le défaitisme ambiant : « non, notre marine n’est pas en retard » ; « chez nous on se dispute, on se chamaille, on fait tellement d’auto-critique que l’on arrive à ne plus savoir ce que l’on a de bien ».
Le portrait du pays qui ouvre le film, assez élégant formellement, frappe par son unilatéralité : il propose en quelques plans un genre d’héroïsation du paysan, qui manie la fourche et tire sa bête avec résolution et force tranquille. La France y apparaît comme un village habité par de petits propriétaires ayant à cœur de protéger leurs bêtes et leurs champs. La séquence s’achève par trois plans sur des serrures que l’on ferme (la maison, l’école et la mairie) et la transition se fait tout naturellement… vers une présentation admirative du verrou qu’est la Ligne Maginot ! Nos professeurs d’histoire ne nous avaient pas menti.
La présentation exhaustive de l’état des forces armées du pays, même si elle a une visée politique et patriotique, témoigne de la puissance objective de l’armée française – et renforce, s’il était besoin, la thèse de « l’étrange défaite ». Tout y passe : la marine, l’aviation, l’artillerie, le génie, les transmissions, la DCA, les chasseurs alpins, les régiments coloniaux algériens, indochinois ou sénégalais comme les spahis marocains. La pédagogie de l’exposé et surtout l’espace constamment laissé à l’image documentaire – certes « politique » et édifiante – rend toute cette présentation intéressante au plus haut point, surtout si l’on ne s’est jamais intéressé plus que cela à la structure intérieure de la Ligne Maginot, à la possibilité de monter en quelques heures un pont sur un ravin ou si l’on ne savait pas qu’il y avait des porte-avions en 1939. Et puis les mouvements mécaniques des chars, les flottes d’hydravions, les glissements des canons sur les croiseurs, les jeux multipliés des roues et moteurs, aussi sinistres soient-ils, sont inévitablement cinégéniques. Les membres de ce qui ne s’appelait pas encore le Service Cinématographique des Armées font les preuves de leur adresse technique.
On sera tout de même étonné – ou pas – de ne pas entendre une seule fois, dans ces documents de 1939, le mot « Allemagne ».