Sortie en DVD de l’inédit Johnny 316 d’Erick Ifergan (réalisateur surtout connu dans le milieu du clip et de la publicité), qui fut montré dans une première version au New York Underground Film Festival en 1998 avant une longue traversée du désert. Après de nouvelles prises de vue en 2006, ce n’est que cette année que le financement a été bouclé et le travail de post-production achevé. Sous des atours – pas forcément engageants – de production indé « radicale-chic », le film emmené par Vincent Gallo fait preuve d’une épaisseur bienvenue, travaillant sa matière (les paumés d’Hollywood qui se perdent dans la religion) avec des choix de mise en scène affirmés.
Nous sommes sur les trottoirs d’Hollywood, le « Barbès » de Los Angeles selon Erick Ifergan. Vincent Gallo – dont le personnage n’a pas de nom – tout de blanc habillé, est juché sur une caisse en plastique et passe ses journées à prêcher la parole de Dieu. Autour de lui, quelques locaux : un estropié qui lustre les étoiles des stars, le propriétaire d’une supérette, un gérant de sex-shop, le réceptionniste et la « femme de ménage » de son immeuble, mais surtout une fille encore plus perdue que lui (Sally, interprétée par Nina Brosh). Elle fuit son quotidien sinistre (où elle navigue entre sa mère acariâtre clouée dans une chaise roulante et son boulot de coiffeuse dans une échoppe minable) et retrouve l’espoir lorsqu’elle tombe sur Gallo.
L’image, stylisée et symbolique parfois jusqu’à la caricature (le cadre s’inonde de lumière au moment où elle tombe amoureuse de Gallo) s’apprête admirablement à la substance du film : ce besoin vital de croire (en Dieu pour Gallo, en son amour pour la fille) et de s’accommoder de la réalité pour toujours renforcer sa foi (la fille se voit coucher avec lui, il s’imagine dans des situations bibliques). La photographie quelque peu outrancière ne fait que traduire l’illumination des personnages et l’interprétation volontariste qu’ils font des événements (lorsqu’elle dit « tu es blanc », il se colorise en blanc), alors que la redondance entre le récit et les effets visuels reprend judicieusement le principe du prêche répétitif de Gallo.
Sous la fable principale jouée par Vincent Gallo et Nina Brosh – qui se veut être une actualisation du mythe de Salomé – affleure également une belle sensibilité documentaire avec une admirable galerie de personnages secondaires. Ifergan montre comment le mythe hollywoodien déteint sur ses laissés-pour-compte, comment chacun finit par s’inventer un personnage (extraordinaire femme de ménage transsexuelle et SDF qui astique les étoiles sur Hollywood Boulevard) ou reprend à son compte des dialogues de film. Johnny 316 baigne constamment dans un étonnant mélange de prosaïsme et de sacré : le patron de la supérette ne croit pas en Dieu mais aime se faire bénir, les églises côtoient les sex-shops. Ce niveau de lecture, concret, offre un contrepoint judicieux aux envolées symboliques évoquées plus haut, tout en alimentant les réflexions sur la croyance, qui semble être digne de tous les sacrifices (Sally ira jusqu’à faire assassiner celui qu’elle aime), y compris celui de sa propre foi.