En 1971, le cinéma d’exploitation se remet encore difficilement de l’onde de choc du Grand Inquisiteur de Michael Reeves (1968). La maison de production Tigon met en chantier un projet bâtard, mélange d’éléments à succès : d’un côté, l’univers du film de Michael Reeves (le genre du « film d’inquisiteur », mettant en scène une lutte entre un bien et un mal troubles dans une campagne anglaise magnifique), de l’autre, la formule à succès de l’Amicus, le film omnibus. Heureusement pour lui, La Nuit des maléfices devient plus que la somme de ses parties, en prenant une direction tangente aux deux influences : l’occasion de créer, sans vraiment le vouloir sans doute, un univers onirique, troublant et cruel.
Tout commence sous le soc d’un laboureur local : voilà déterrés des os étranges, maléfiques, ne venant pas d’un humain mais d’une créature inquiétante. Les os disparaissent d’eux-mêmes, et voilà que se manifeste, dans la mansarde occupée par l’oncle décédé du jeune premier, une créature qui rend folle la promise dudit jeune homme, et qui est pourvue d’une patte griffue et poilue. La folie intervient, autant pour la malheureuse jeune fille que pour le film lui-même, tandis qu’il part dans des directions insoupçonnées, surprenantes et, lorsque dépassent quelques griffes incongrues de la manche de la jeune fille qu’on emmène au sanatorium, véritablement effrayant. La folie se propage, les blessées disparaissent, d’autres s’amputent, les autochtones se tournent vers un culte démoniaque tandis que le juge, un traité de démonisme sous le bras, fuit les lieux en disant « je reviens, surtout ne faites rien, même s’il y a des morts ». Allons bon.
Cette structure étrange, pleine d’ellipses, de non-dits et de numéros d’acteurs parfois légèrement déplacés (voir, ainsi, l’interprète d’une mère éplorée annoncer qu’elle a perdu ses deux enfants avec un innocent sourire apologétique) est le legs de l’ancienne structure du film : trois sketchs, à la manière de l’Amicus. En décidant de relier les trois récits, La Nuit des maléfices construit lui-même les ornières dans lesquelles il pourra donner – pourtant, c’est aussi ce qui fait sa spécificité formelle. Ces numéros d’acteurs parfois peu adaptés aux situations sèment un trouble vertigineux : qui croire ? Quel notable est corrompu, et pour quelles raisons agit-il réellement ainsi ? L’étrangeté est surtout palpable au sein de la communauté des enfants de la ville, rapidement corrompus par le mal, et qui passent d’une innocence joueuse à une perversité démoniaque.
La cruauté, très affirmée chez les enfants comme dans quelques scènes impliquant les adultes, est le passage obligé du film d’inquisiteur : soit le film adopte une vue cartésienne, et son cahier des charges va impliquer un catalogue de tortures complaisant, soit le film verse dans le surnaturel, et l’opposition entre les sorcières et les inquisiteurs est tout aussi saignante. Pourtant, la cruauté terrible qu’on peut trouver, notamment, dans le film-étalon Le Grand Inquisiteur, est ici nuancée par l’aspect étrange, onirique et privé de repère du film. On est plus ici dans la cruauté sardonique d’une danse macabre médiévale – une impression largement renforcée par la partition intense et originale de Marc Wilkinson.
Ainsi, parfois l’alchimie opère, parfois non. Pour faire de cette Nuit des maléfices un nouveau Grand Inquisiteur, il aurait fallu le talent fou de Michael Reeves, sa capacité à diriger même un acteur aussi chevronné que Vincent Price pour lui donner le meilleur rôle de sa carrière. Pour autant, le cinéphile curieux saura savourer les étranges imperfections du film pour se laisser porter par son charme unique et vénéneux.
Du côté des bonus, les éditions Artus livrent une édition soignée, pourvue d’une galerie de photos étendue et très intéressante, d’un entretien hautement informatif avec Alain Petit qui permet de remettre le film dans son contexte et, étonnante cerise sur le gâteau, du lyrique court-métrage Hyrcania, formant un prologue coloré et déjà très onirique au film.