En ces temps encore et toujours plus moroses pour le marché du DVD/Blu-ray et alors même que certains constructeurs historiques ont décidé d’arrêter la production de platines, il apparaît de plus en plus évident que seuls subsisteront les passionnés, les fétichistes et les niches : en somme, les éditeurs qui ont un travail à côté.
Les films de genre ont toujours drainé avec eux des hordes d’amateurs dévoués, des maniaques, des auteurs de fanzines ou des individus qui dès l’apparition de la VHS échangeaient des copies et correspondaient par courriers. Il n’y a donc rien d’étonnant qu’à l’heure où le support DVD/Blu-ray semble vivre ces dernières heures, des éditeurs comme Le Chat qui fume ou ici Artus Films arrivent encore à créer une actualité, à publier des raretés ou des films oubliés, à susciter chez le cinéphile du désir et de l’attente – quitte parfois à le décevoir, mais cela fait partie du jeu.
Fondées en 2005, les éditions Artus Films ont toujours articulé leur catalogue autour du cinéma de genre, notamment européen. Films d’horreur anglais, gothiques italiens, eurospy, western européens, nazisploitation… autant de genres et de sous-genres amis ou non du bon goût qui ont fait les riches heures passées des salles de quartiers, des cinémas permanents ou des séances double programme, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à l’apparition de la VHS. Toute une culture secrète, méprisée, mais qui à l’époque dialoguait avec la culture populaire des romans de gare, des bandes dessinés ou encore des publications érotiques. Pourtant, au sein de ces œuvres parfois sans auteur, faites pour être exploitées et oubliées, surgissent ici et là des bribes de récits puisant consciemment ou non leur inspiration des folklores, des croyances et des superstitions enfouies dans les profondeurs de la psyché collective.
Dépouiller le drame
Parmi les genres mis en avant par Artus Films se trouve donc ce que l’on appelle le « gothique italien », style de films d’horreur produits essentiellement dans les années 1960 et dont la figure de proue reste Mario Bava. Le Moulin des supplices, réalisé par Giorgio Ferroni en 1960, se positionne comme un des pionniers du genre, tout en se singularisant par son traitement.
Aux Pays-Bas, un jeune étudiant se rend dans un ancien moulin, habité désormais par un célèbre sculpteur, pour y étudier le carillon. Ce moulin, du fait de son ancienneté et de la singularité de ses mécanismes, est devenu un monument local, et ce d’autant plus que le sculpteur qui l’habite l’a en partie transformé en un musée de figures de cires macabres, où sont représentées et immortalisées des tueuses en série ayant marqué l’histoire de leur empreinte sanglante. Autorisé bon gré mal gré par le maître des lieux à demeurer au moulin pour y parfaire son étude, le jeune étudiant voit rapidement son séjour troublé par des voix et des cris dont il n’arrive pas à cerner la provenance, ainsi que par l’apparition fantomatique et fantasmatique d’une jeune femme qui semble être la fille du sculpteur.
Il convient tout d’abord de noter que les amateurs d’éclairages expressionnistes, d’angles de vue déformant la perspective et de toute la maestria visuelle et vertigineuse qui caractérisent souvent le genre risquent d’être déçus. Le film s’avère visuellement assez plat, tandis que la mise en relief des décors, façonnée par la couleur et les lumières, se révèle peu inspirée. Les moments supposés susciter une forme de suspense et d’angoisse, notamment lorsque le jeune étudiant s’aventure dans l’intérieur labyrinthique du moulin, peinent à instaurer la moindre tension et à rendre vivant ces murs et ces cloisons. De même, si le récit est censé nous plonger dans les brumes d’Amsterdam, l’image n’offre pourtant qu’une teinte terne, voire terreuse, où seul le travail effectué sur les visages féminins blanchâtres rehaussés de fines touches de couleurs apporte quelques variations à ce décor grisâtre.
Mais si la plastique du film n’apparaît pas au centre des préoccupations du cinéaste, le film se révèle passionnant lorsqu’il se confronte aux enjeux dramatiques, moraux ou éthiques de son récit. Lorsqu’elle nous immerge au sein de l’entreprise macabre menée par le sculpteur et le médecin déchu, ou qu’elle approche cette jeune femme dont l’existence oscille littéralement entre la vie et la mort, la mise en scène se refuse alors le moindre effet. Le cinéaste cherche au contraire la juste distance, le point à partir duquel scruter le drame, en vue d’obtenir un rendu plus réaliste qui n’écraserait pas les personnages mais serait à l’écoute de leurs affects.
Si le film se situe dans la droite ligne de la tradition fantastique initiée par le Frankenstein de Mary Shelley, c’est autant la morale du scientifique que celle de l’artiste qui se retrouvent mises en cause. Dans les deux cas, il s’agit de pointer l’hubris de l’individu-créateur qui par tous les moyens cherche à se substituer au Créateur unique qu’est Dieu, en s’arrogeant le droit de décider qui doit vivre ou mourir. L’artiste et le scientifique transgressent les tabous de la communauté pour mener à bien une quête macabre, fut-elle motivée par l’ambition d’une humanité nouvelle ou pour compenser la perte irréparable d’un être cher.