Le Petit Vietnam et Inconnu, présumé français forment un diptyque symbiotique pour le réalisateur Philippe Rostan, un diptyque où l’amertume le dispute à l’espoir, la fierté à la perte d’identité. Rien n’est tout blanc ni tout noir chez ces enfants d’ailleurs qui sont chez eux en France – une richesse de ton que Philippe Rostan rattache, avec pertinence, à la question, au centre de l’actualité, de l’identité française.
Après la défaite de Dien Bien Phû, en 1954, la France se retire d’Indochine, futur Vietnam, et laisse la place à la partition du pays, après un siècle de colonialisme. Les héros de Philippe Rostan – employons ici le terme en son sens le plus plein – sont les laissés-pour-compte de cette période de colonisation : les uns sont les femmes et les enfants ayant suivi leurs pères et maris de retour en France métropolitaine, dans la petite ville de Noyant d’Allier (Le Petit Vietnam), les autres sont les enfants d’union plus ou moins clandestines, pris en charge par la République au moment du départ de la France (Inconnu, présumé français).
Les destins de ces deux communautés différent dans les faits, mais se ressemblent, fondamentalement : il s’agit avant tout de personnes déracinées, dont il serait facile de faire des symboles des conséquences d’une colonisation irresponsable. Ce serait trop simple, et ce n’est pas le propos de Philippe Rostan – non plus d’ailleurs que de parler d’un « rôle positif de la colonisation ». L’important, pour le réalisateur comme pour ses sujets, c’est la dignité, la force de ces déracinés qui, malgré tout, se sont maintenus debout.
Pour cela, Philippe Rostan partage sa narration entre deux axes principaux : d’une part des images et sons d’archives, précieux – ils offrent une remise en contexte efficace – mais servant avant tout d’illustration aux propos des protagonistes, et d’autre part des entretiens avec ceux-ci. Car le propos de Philippe Rostan est avant tout de donner la parole aux enfants arrachés à leurs mères, aux jeunes filles parties de leur pays pour une France dont elles ne savaient rien.
Il serait facile, et mensonger, d’utiliser ces propos pour donner dans un pathétique ronflant. C’est une corde raide sur laquelle Philippe Rostan parvient cependant à rester ferme : son propos est plus large, plus intéressant que celui d’un dénonciateur des terribles conditions de détention des migrants « français des colonies », et des enfants eurasiens (et africasiens). Il s’agit avant tout, pour lui, de montrer comment contre vents et marées – parfois littéralement – le sentiment d’appartenance est parvenu à rester vif chez ces personnes pourtant apatrides. Un sentiment d’appartenance qu’il partage, puisque plusieurs des personnes apparaissant dans ses documentaires sont de sa famille proche.
L’ombre de la mort plane sur les femmes qui ont quitté le Vietnam pour rejoindre leurs maris, nous dit-on dans Le Petit Vietnam ; et les descendants des enfants eurasiens rapatriés sont à présent pleinement intégrés. L’histoire de ce double déchirement est une histoire qu’il faut raconter maintenant, avant que le souvenir n’en soit éteint, semble nous dire Philippe Rostan. Le Petit Vietnam et Inconnu, présumé français font ainsi figure de discussions intimes, de récits de famille auxquels nous aurions eu la chance d’être invités – une hospitalité, une fraternité qui, d’ailleurs, fait partie des valeurs vietnamiennes conservées et défendues par ces apatrides. Plus qu’une simple charge contre la colonisation, plus que le portrait d’une intégration réussie au moment où la question fait l’objet de toutes les récupérations – il s’agirait d’approches par trop dogmatiques – Le Petit Vietnam et Inconnu, présumé français sont avant des portraits humains, la concrétisation d’un « devoir de mémoire » (expression bien galvaudée) apaisé, touchant et passionnant.