Dans le Japon médiéval, deux femmes, la mère et l’épouse d’un homme parti à la guerre, tentent de survivre en tuant des soldats égarés, et en revendant leurs armes et leurs vêtements à un receleur contre quelques sacs de millet. Mais le retour d’un soldat leur annonçant la mort de leur fils et époux vient troubler le cours de la vie des deux femmes. La jeune veuve délaisse sa belle-mère pour assouvir ses pulsions sexuelles avec le déserteur, ravivant ainsi les propres pulsions de la mère, et sa peur de la solitude…
Onibaba est considéré par les connaisseurs comme l’un des chefs-d’œuvre du cinéma japonais des années 1960. Kaneto Shindô, surtout connu pour L’Île nue et Les Enfants d’Hiroshima, se livre ici à une réflexion sur la société japonaise de son époque, en y opposant l’expression et l’assouvissement des désirs dans le Japon primitif, à l’instar d’autres auteurs comme Shohei Imamura ou Nagisa Oshima. Car ce qui anime les trois personnages principaux, c’est bien sûr leur survie, même s’il faut pour cela passer par le meurtre. Pour survivre, il faut manger, avoir un toit, mais aussi assouvir ses pulsions sexuelles, thème récurrent chez Shindô.
Détachés de toute forme de loi et de morale, les personnages laissent ainsi libre cours à leurs émotions : la jeune veuve n’observe aucune période de deuil avant de tomber dans les bras du déserteur. Quant au personnage de la mère, d’abord antipathique et revêche, craignant d’être abandonnée parce que sa belle-fille a retrouvé un compagnon, elle est finalement très touchante, en dépit de ses manigances pour retenir la jeune femme auprès d’elle.
Le film bénéficie d’une photographie très stylisée. Le travail sur le son contribue également à créer l’ambiance si particulière du film. C’est en effet un mélange de rythmes de percussions, et de bruits naturels poussés à l’extrême, en particulier le bruit des herbes, froissées par le vent. Autant d’éléments qui nous font pénétrer dans une autre dimension. Enfin, le lieu unique, et la difficulté à se repérer dans la topographie du film, créent d’abord une sensation de malaise, mais contribuent à nous entraîner encore plus loin dans l’univers des deux femmes.
La force du film est en outre de créer des images d’une grande puissance esthétique et symbolique. La course des amants dans les herbes, le trou dans lequel les deux femmes précipitent les dépouilles des soldats tués, le masque de démon qui effraie ceux qui le croisent puis devient maléfique pour celui qui le porte, sont autant d’éléments récurrents dans le film et qui accèdent à une dimension quasi philosophique.
Onibaba est assurément un film à découvrir, alliant beauté plastique, science des cadrages et de la mise en scène, et exploration intelligente des sentiments humains.
Suppléments :
Le documentaire sur Kaneto Shindô se révèle assez intéressant, dans la mesure où c’est le fils et la petite-fille de Shindô qui racontent leurs souvenirs du cinéaste, et la naissance de leur passion pour le cinéma, qui est aussi devenu leur métier. Nous apprenons également la petite histoire de la société de production indépendante de Shindô, la Kindai Eiga Kyokai, sauvée de la faillite par les ventes à l’étranger de L’Île nue. Jiro Shindô évoque le respect de son père pour sa mère et pour les femmes en général, tandis que Kaze Shindô se souvient de Nobuko Otawa, épouse du réalisateur, et actrice interprétant la mère dans Onibaba, par ailleurs brièvement analysé dans ce supplément.
Les filmographies de Kaneto Shindô et Nobuko Otawa sont impressionnantes, et permettent de se rendre compte de l’étendue de leur œuvre, globalement commune.
Une galerie de photos du film ou d’exploitation, malheureusement trop peu nombreuses, permet de se remémorer l’esthétique du film.
Enfin, des liens internet pour accéder au site de Wild Side via un lecteur DVD-Rom.