Opportunément édité aujourd’hui en France pour « surfer » sur le terrible séisme qui a endeuillé le Japon en avril 2011 (une promo à peu de frais), Sinking of Japan n’était en aucun cas un coup marketing dans son pays d’origine mais bien le maillon d’une longue tradition mettant en scène la destruction partielle ou totale de l’archipel. Sorti en 2006 (remake d’un film de 1973, lui-même adapté du best-seller de la même année, La Submersion du Japon de Komatsu Sakyo), ce film-catastrophe jusqu’au-boutiste, qui annonce la disparition imminente du Japon sous les eaux de l’océan Pacifique, joue avec les peurs inhérentes à la géographie nippone sans retenue, ni pudeur. Tous les cas de figure sont envisagés (tsunamis, séismes, éruptions volcaniques…), avec une ampleur démentielle (vague de trente mètres, mont Fuji prêt à exploser sous le magma…) pour un spectacle parfaitement apocalyptique.
Alors que les Américains pratiquent la catastrophe depuis les débuts du cinéma (King Kong piétinant New-York), ils ne sont pas pour autant à l’aise avec le traitement de leurs propres désastres. Le gommage des tours jumelles de nombreux films juste après le 11/09 (la bande-annonce de Spider-Man en a fait les frais à l’époque) ou l’absence de films sur Katrina (il faut chercher du côté séries pour trouver des exemples, comme Treme), venant de ceux qu’on considère comme les plus aptes à puiser dans leur histoire contemporaine pour alimenter la machine à rêves, en dit long sur leur capacité à créer de la fiction destructrice, tant qu’elle se tient éloignée de leur réalité. Les Japonais en revanche embrassent leurs tragédies et ne craignent pas de les plaquer sur les écrans, sans doute pour exorciser le mal et mieux le surmonter. Des kaiju eiga (films de monstres à la Godzilla ou Gamera) aux simples films-catastrophe, les deux grandes peurs nippones que sont le nucléaire et les forces de la nature jouent les premiers rôles, et Sinking of Japan ne fait pas exception à la règle.
Pour le scénario, soyons concis (les scénaristes l’ont été eux aussi) : un scientifique tombe amoureux d’une secouriste. Mais il doit sauver le monde (et elle aussi), l’issue fatale de leur histoire d’amour est donc prévue. Viennent se greffer à ce timbre scénaristique une enfant orpheline, un océanographe tendance Cassandre (mais bien sur, personne ne le croit), un Premier ministre pleutre et les membres d’une famille joyeusement fatalistes. Évacuant les enjeux politiques et sociaux de son film (ce qui était le cœur de l’original en 1973), le réalisateur évite de traiter de cette migration logistiquement impossible (vider un pays en un an), des choix politiques induits par cette réalité, ainsi que des réactions alentour face à cette immigration massive (la relation complexe entre la Corée et le Japon est ainsi expédiée en une scène).
Que reste-t-il à se mettre sous dent me direz-vous ? Une vision cauchemardesque de fin du monde dont les effets spéciaux n’ont rien à envier aux blockbusters américains. Villes rayées de la carte avec images satellite à l’appui, explosions volcaniques dantesques, scènes de panique géantes, les aficionados de la destruction en auront plein les mirettes. Le réalisateur Shinji Higuchi, responsable des effets spéciaux sur Gamera, montre sa maîtrise technique. Si la mise en scène des séquences hors crise se révèle assez plate (aucune originalité n’est à déclarer), les tremblements de terre et autres joyeusetés explosent sur l’écran. Les scènes où la Nature se déchaîne ressemblent à ce qu’on peut imaginer d’une telle catastrophe. Mais le flot d’images aériennes censées en rendre compte, déshumanise le film, pour se concentrer sur son ampleur et non sa perception physique. On reste donc quelque peu étranger au malheur, comme un insecte survolant une zone mais ne ressentant presque pas ce qui se déroule au sol.
Quant au traitement spécifiquement nippon, il diverge des visions hollywoodiennes par l’état d’esprit des victimes. Habitués aux cataclysmes, les personnages prennent leur destin avec philosophie, voire même avec une certaine désinvolture (une séquence de barbecue dans un camp montre les protagonistes rire de leur « infortune »). Malheureusement, Sinking of Japan n’évite pas le happy-end (le Japon s’en sort finalement) par l’entremise du sacrifice d’un homme, la fameuse figure du sauveur donnant sa vie aux forces de la nature pour apaiser le « monstre ».
Navigant entre traitement occidental (tout finit bien) et philosophie orientaliste (mourons avec dignité et en silence), Sinking of Japan se regarde sans déplaisir et offre une contrepartie aux tombereaux catastrophistes d’outre-Atlantique. Comme quoi Hollywood n’a pas le monopole de la fin du monde.