Après une sortie en salle trop discrète, l’édition DVD de ce premier film argentin, symptomatiquement primé à Cannes par le jury de « la (toute) jeune critique », permet de découvrir quelque chose de rare au cinéma : un sujet inédit. Et qui dit sujet inédit, dit mise en scène à inventer… La jeune cinéaste parvient en effet à trouver des espaces et des cadres pour parler d’hermaphrodisme en tranchant définitivement avec le parfum de mythe du récit platonicien.
L’adolescence d’Alex fait resurgir de manière cruciale la décision que ses parents ont prise à sa naissance. Cette décision est involontairement responsable de la frénésie violente et de la rumeur du village uruguayen où la famille s’est établie, en exil. Les parents d’Alex avaient refusé l’opération chirurgicale qui consiste à passer outre l’hermaphrodisme de leur enfant, au profit d’une sexuation définitive (garçon ou fille). Ils ont agi dans le but de protéger l‘intimité mais aussi les voies de l’érotisme offertes à leur enfant. Quinze ans plus tard, l’intérêt médical d’un chirurgien en visite, ancien ami de la famille, l’érotisme sensuel qui s’installe entre Alex et Alvaro, le jeune fils du chirurgien, tout autant que le tempérament libre, les aspirations et les pulsions d’Alex cristallisent son destin.
Alex est un diminutif efficient qui conserve l’ambiguïté sexuelle d’un prénom qui pourrait tout aussi bien être masculin ou féminin. Dans le film, cette ambiguïté n’est pas l’apanage d’une orientation sexuelle (la sexualité homo ou hétérosexuelle), un sujet depuis longtemps exploré au cinéma sous l’ordre de l’ambivalence érotique avec les pôles masculins et féminins. Il ne s’agit pas non plus de l’apparence extérieure d’Alex mais de filmer une marque de la nature, une anatomie singulière et troublante. L’hermaphrodisme est une réalité physique et naturelle, discrètement présente dans les annales de la médecine, dont ont pu témoigner les mémoires et le jugement d’Herculine Barbin devant un tribunal français du XIXe siècle, étudiés par le philosophe et historien de la sexualité Michel Foucault.
Dans ce film, l’hermaphrodisme n’est plus un cas médical et judiciaire. Il guide sans conteste les choix de mise en scène d’une toute jeune réalisatrice prometteuse, aussi douée pour le cinéma que pour représenter l’évolution contemporaine en ce qui concerne la découverte de la sexualité et le bouleversement des identités. L‘espace sauvage de la côte uruguayenne, avec l’océan et ses espèces naturelles exotiques et colorées, est à la fois le rivage où s’est réfugiée la famille pour se protéger, mais aussi l’omniprésence d’une référence où tout le monde est tenté de chercher « naturellement » une réponse. Cette hantise, qui consiste à revenir vers la nature pour comprendre, demeure, même si la nature n’a pas choisi : le fantasme du père tenté de surveiller la sexualité d’Alex et celui de la mère devant le site sauvage où elle affirme l’avoir conçu…
À l’origine, il y a donc l’observation des autres sur l’anatomie : le père biologiste qui manipule les chromosomes (XXY étant l’une des possibilités de l’hermaphrodisme), la mère et son désir d’enfant, le chirurgien, les amis, la présence d’Alvaro… Positif quand il s’agit de savoir ce qui est désiré (filiation, amour, érotisme), le regard est bien évidemment aussi un outil coercitif et violent quand il s’agit de surprendre, d’épier ou de trancher (juger).
Les directions de regard appuyées des personnages sur l’entrejambe d’Alex (visages scrutateurs en gros plan, cadres réduits…) confrontent le spectateur à son propre désir de voir. Le premier danger de la curiosité des spectateurs se trouve dans la confrontation même du spectateur au film. Le risque consiste à croire que l’attribution d’un sexe univoque est toujours possible. Or, les limites des plans et la mise en scène des ombres dans le cinéma de Lucía Puenzo ne cessent d’affirmer qu’il en est rien, jusqu’à une scène de viol inédite.
Son ami d’enfance nous aura pourtant prévenus : il est tout à fait possible qu’Alex soit sans doute « trop » pour beaucoup d’entre nous.