Longtemps après Murnau et Wiene, le cinéma expressionniste reste encore une vague pose sans manifeste ni limites clairement définis, chose à laquelle ont tenté de remédier Jacques Aumont et sa bande en un ouvrage-somme.
De l’expressionnisme au cinéma on ne sait, on ne dit presque rien de neuf. On ne fait guère que se murmurer des infos et des doutes : « Le Cabinet du docteur Caligari est un film expressionniste, faire passer. » Belle jambe. Trois ouvrages ont pourtant permis de tout remuer de ce courant/école/mouvement (en fait, c’était un phénomène) : De Caligari à Hitler (1947) de Siegfried Kracauer, Expressionismus und Films (1926) de Rudolph Kurtz et L’Écran démoniaque de Lotte Eisner (a.k.a. Louise Escoffier). Et depuis, rien.
André Breton, peu après la parution de L’Écran démoniaque (1954), écrivit à Lotte Eisner sa colère (contre lui-même et ses contemporains) à l’idée de « penser que tout cela soit resté caché si longtemps [en France]. Sans cela, le développement général de l’art ne se serait pas passé de la même façon. » Car l’expressionnisme (mot de critique inventé contre l’impressionnisme, trop bourgeois, pas assez poétique) était avant tout une vision du monde, « l’expression d’une crise mondiale » (Kurtz). Contestataire, idéaliste, aveniriste et régressif (l’expressionnisme admet aussi facilement la fin du monde à venir que sa fascination pour les trains et la ville), ce jet nouveau made in Germany se cantonna longtemps à ces seules frontières.
Mais au cinéma, l’expressionnisme, ses décors construits et peints aux dépens d’un réalisme diégétique, cette image sur-stylisée, tourmentée, saturée de sens et d’atmosphère, d’ombres et de lumières blafardes, ce goût pour le moyenâgeux, le démoniaque et l’horreur, on en nomma le tout caligarisme sans trop savoir à qui l’on devrait plus tard la mouvance, au décorateur, au producteur, au scénariste, au réalisateur ou bien au directeur photo. Sans limites ni définitions, dépourvu de manifeste et de caractéristiques précises, le terme fut indistinctement appliqué à tout, pourvu qu’il y eût une contre-plongée ici ou là. Mais ce qui resta en fin de compte de l’expressionnisme, ce furent ses héritiers lointains, Welles, Garrel, Carax, Bergman, Burton, Lynch, qui, le démêlant du romantisme avec qui on l’avait si souvent confondu (le goût pour l’horreur et la démesure), nous rappelèrent mieux que tous les discours que ce cinéma expressionniste, au fond, ce n’était rien d’autre qu’un art de la lumière, un art de l’ombre. Composé de textes de Jacques Aumont, Jean-François Rauger, Emmanuel Siety, Noël Herpe, Stéphane Bouquet ou encore Hervé Aubron, Le Cinéma expressionniste revisite en profondeur l’une des plus obscures trajectoires de l’histoire du cinéma. Un ouvrage important.