C’est avec une certaine émotion qu’on l’écrit : Critikat fête ses vingt ans. Il s’en est passé des choses depuis 2004, lorsque Clément Graminiès, avec quelques amis rencontrés sur les bancs de l’Université Paris 8, a fondé la publication : plus de deux cents rédactrices et rédacteurs sont passés par nos rangs, plus de treize mille articles ont été publiés, et surtout le paysage de la critique sur Internet s’est entretemps considérablement transformé, au point que le modèle de la revue paraît aujourd’hui minoritaire au sein des formes critiques privilégiées sur Internet – microblogging, podcasts, vidéos YouTube, textes mis en ligne sur Letterboxd ou SensCritique, etc. Or, ce qui relie les différentes générations de Critikat (quand bien même la ligne éditoriale et les pratiques ont évolué depuis deux décennies) réside précisément dans l’attachement à l’idée d’une revue – on oserait même dire : l’idéal. Qu’est-ce qu’une revue ? D’abord, un espace, ce qui n’est pas rien à l’heure où la philosophie du Web 2.0 subsiste difficilement. Critikat est une alcôve indépendante, que possèdent ses contributeurs ; on sait où nous trouver, indépendamment des algorithmes et de leurs règles fluctuantes qui régissent les flux des réseaux sociaux. Mais plus encore, une revue, c’est un collectif ; autrement dit une maison commune qu’on ne cesse de rebâtir, chaque texte ajoutant quelque part une pierre à l’édifice.
Cette maison, elle a changé plusieurs fois de peinture et d’habitants en l’espace de vingt ans. Comme Robert Zemeckis dans le beau Here, on pourrait en dresser l’histoire par une série d’instantanés entrelaçant celles et ceux qui l’ont rendue vivante. Il y a eu Clément Graminiès, infatigable capitaine pendant 14 ans ; le travail de l’ombre opéré par tous les relecteurs et secrétaires de rédaction ; les textes des contributeurs historiques de la première génération (pour ne citer que les plus prolifiques : Arnaud Hée, Mathieu Macheret, Raphaëlle Pireyre, Julien Marsa, Ophélie Wiel, Fabien Reyre, Benoît Smith, Ariane Beauvillard, Matthieu Santelli, Vincent Avenel, Olivia Cooper-Hadjian, Théo Ribeton, Florian Guignandon, etc.) ; trois versions différentes du site ; et puis, depuis fin 2018, la transition vers une nouvelle génération qui a investi avec la même énergie et ferveur la bâtisse confiée par les aînés. Ses fondations sont solides, si bien qu’on a pu, au fil des années, lui ajouter quelques annexes, entre une page YouTube et, aujourd’hui, à l’occasion de notre anniversaire, la publication d’un numéro papier tourné vers les vingt années à venir. On aurait presque des pudeurs à le dire, dans un contexte où la critique de cinéma fait grise mine, mais le moral est très bon : vous êtes de plus en plus nombreuses et nombreux à nous lire, à nous soutenir, à nous écrire, à nous faire part de vos accords et désaccords, à investir aussi, à votre manière, cet espace dont les portes sont grandes ouvertes – on le rappelle, la revue est accessible gratuitement et le restera. Voilà ce qu’est en fin de compte Critikat : une revue, certes, mais plus encore, un foyer. A place called home.