Dans un précédent édito, l’équipe de Critikat dressait un constat pas très emballant du premier semestre cinématographique 2008: la rédaction y pointait surtout l’absence d’un véritable coup de cœur. Si, du seul point de vue qualitatif, l’équipe attend encore ardemment le grand film dont nous rêvons tous, le petit monde professionnel du cinéma aura néanmoins connu ces derniers mois plus d’un remous.
Car, à défaut d’être une année prometteuse en chefs d’œuvre des salles obscures, l’année 2008 est celle… du rapport. Rappelez-vous, il y a eu, bien sûr, les éclats médiatiques provoqués par la publication du rapport du « club des 13 », mené tambour battant par Pascale Ferran, un texte qui a le vrai mérite de mettre en lumière la fragilisation d’un métier du cinéma resté souvent à l’ombre de la création, de la production ou du vedettariat, à savoir la distribution.
Moins médiatisé mais tout aussi important, le rapport de Jean-Pierre Leclerc et d’Anne Perrot intitulé « Cinéma et concurrence » remis en mars dernier aux ministres de l’Économie et de la Culture alimente les virulents débats qui animent régulièrement le secteur de la distribution et de l’exploitation cinématographiques : guerre des prix et politique tarifaire, accès des films aux écrans, limitation ou non du nombre de copies de films, concurrence entre salles municipales et privées, rémunération des distributeurs, pouvoirs et actions du médiateur du cinéma, et toujours l’éternelle question de la concentration du secteur. Mais quid de cette concentration d’ailleurs, lorsque même les experts n’arrivent pas à se mettre d’accord ?
Dans le rapport de Jean-Pierre Leclerc et Anne Perrot, on lit : « Le secteur de l’exploitation est plus concentré que celui de la distribution. » Dans le bilan 2007 publié par le Centre Nationale de la Cinématographie, est écrit : « à l’instar de l’activité de l’exploitation, la programmation des salles n’est pas une activité concentrée en France »… Un jour, peut-être, faudra-t-il se mettre d’accord. En attendant, le contexte de rédaction d’une telle expertise est bien sûr lié à l’exacerbation de tensions, et notamment aux différends qui opposent les groupes UGC et MK2 au cinéma de Montreuil, Le Méliès, et à son projet d’extension. Dans le cadre du Festival du Film de la Rochelle, l’association Territoires et Cinéma a pris la bonne initiative d’organiser un débat portant sur cette question du cinéma et du droit de la concurrence.
Étaient notamment présents autour de la table, Corinne Ruffet, présidente de la Commission du Film d’Ile-de-France qui représentait plutôt, au milieu des exploitants, la « voix politique », ainsi que deux directeurs de salles, François Aymé du cinéma Jean Eustache à Pessac et Michel Malacarné du réseau Utopia. Serge Fendrikoff qui représentait le Méliès de Montreuil est également intervenu à plusieurs reprises au cours de la discussion. L’intérêt d’un tel débat, en live, qui, tout d’un coup, rend ces questions un peu moins administratives et un peu plus passionnées, est bien sûr d’affiner les positions de chacun tout en confrontant directement les argumentations des différents participants. Corinne Ruffet a évoqué l’entreprise de diabolisation médiatique conduite d’ailleurs des deux côtés autour de l’affaire UGC-MK2 contre Le Méliès. Car il est vrai que le débat politique et économique entre privé et public, qui s’est cristallisé autour de Montreuil et de sa salle (éclipsant de fait et un peu paradoxalement les autres recours menés par UGC contre d’autres salles municipales) fut aussi affaire de force de frappe publicitaire pour chaque camp.
Un coup Le Monde, un coup Libé, un coup Trois Couleurs… avant le «vrai » coup (de dents) reçu par un employé du MK2 Bibliothèque. Mais dès lors que l’on sort du conflit local, plusieurs problématiques sont soulevées : la nécessité d’une vraie politique d’aménagement du territoire en matière de cinéma et l’importance d’une redéfinition précise des projets culturels pour les salles publiques. Car comment soutenir l’implantation cinématographique et le maillage des salles pour éviter une désertification culturelle ? Dans le sens de Corinne Ruffet, François Aymé rappelle l’aspect trop manichéen du débat sur les salles publiques et privées, éludant des réalités locales de l’exploitation cinématographique bien plus complexes : car il existe des salles privées qui touchent des subventions et des salles associatives qui n’en reçoivent pas.
Malgré tout l’intérêt que suscite une telle polémique, plusieurs autres points sensibles furent abordés de manière trop éparpillée et transversale : la polémique sur les marges arrières de l’exploitation, ou le débat sur la limitation du nombre de copies de film, débat qui est un « vrai sujet » selon Corinne Ruffet.
Après toutes ces paroles plus ou moins engagées, plus ou moins analytiques et l’étalage de ces sujets de fond traités trop succinctement, demeure une double interrogation sur la salle de cinéma: celle de sa compétitivité, de son attractivité d’une part, et celle de son identité d’autre part. Face à l’investissement que représente le coût du passage au numérique, face à la concurrence des autres supports de diffusion, l’appréhension que ressent une frange de l’exploitation aujourd’hui est celle d’une fréquentation vieillissante de sa clientèle. Comment faire venir les jeunes dans les salles ? C’est la question que se pose bon nombre d’exploitants. Car la jeunesse d’aujourd’hui n’est autre que le public de demain. Autre grand enjeu : celui de l’identité de la salle, notamment Art & Essai. Car comment définir aujourd’hui le projet d’une salle Art & Essai dans un contexte de brouillage totale des identités ?
Ainsi comme le souligne Michel Malacarné d’Utopia, il n’y a peut-être pas trop de films mais tout simplement trop de salles qui passent les mêmes films. Diriger un lieu de cinéma, c’est aussi un souci du choix et la mise en place d’une politique d’éditorialisation. C’est à la fin du débat que Serge Fendrikoff du Méliès interpelle ironiquement le directeur d’Utopia : « Vous nous haïssez ? Mais on ne fait que vous copier ! »