C’était une salle rouge et profonde ; on allait y voir les films programmés par Marc Artiguau, noirs, brillants, qui reposaient en nous, durs comme des pierres : ceux de Tariq Teguia, Jia Zhang-ke, Alexandre Sokourov, Béla Tarr, Avi Mograbi, Manoel de Oliveira… Depuis 1906, on a rêvé en ce lieu, on y a fait des songes. Depuis 1967, c’était une salle du Cinéma National Populaire. Tout est fini. Le CNP Odéon de Lyon est fermé. Et personne ne sait trop quel sort est réservé aux deux autres sites implantés en plein cœur de Lyon : le CNP Bellecour et le CNP Terreaux… La gestion catastrophique de Galeshka Moravioff y est certes pour beaucoup – son dernier fait de gloire consistant à déménager la salle en plein cœur de l’été, sans se soucier même de prévenir les salariés, et usant pour seule défense d’un laconique « c’est mon droit le plus absolu ». Mais les incompétences sont partagées. Sous l’ère Collomb, la ville de Lyon a porté plusieurs coups fatals à la cinéphilie : croissance démesurées des multiplexes (Pathé de Vaise, Pathé Carré de Soie, projet UGC dans le confluent), fermeture des salles indépendantes les plus audacieuses (Ambiance, CNP Odéon), et lancement, à grand renfort de bruit, du festival de cinéma du Grand Lyon – au programme de cette construction purement politique prise en main par Thierry Frémaux : de la muséification (quelques vieux films) et un peu de paillettes (quelques stars en touriste). Tout le contraire de ce qu’on attend d’un programmateur et de ce que nous offrait régulièrement les CNP : défricher dans la production contemporaine ; ramener à nous, spectateurs, les œuvres rares, puissantes, présences vives qui donnent à voir ; et composer avec les films un paysage du monde dans lequel on se sente invité à demeurer. La fermeture de ce genre de lieu est une chose grave, contre laquelle il ne faut pas cesser de se révolter. Lyon, la ville qui a vu naître le cinéma, ne peut se résoudre à le voir disparaître.