Manuel Attali fait partie de la société ED Distribution, qui s’occupe notamment de la distribution des films de Bill Plympton et Guy Maddin (voir le récent The Saddest Music in the World) en France. Maillon essentiel de la vie d’un film, la distribution est un métier aux multiples facettes, aussi bien techniques et artistiques qu’humaines. Découvrons ces différents aspects et les difficultés rencontrées avec un guide passionné.
Pourrais-tu nous dire en quoi consiste le métier de distributeur?
L’explication la plus simple, c’est que c’est le même métier qu’un éditeur. Un bouquin est écrit et l’éditeur s’occupe de le diffuser. Nous, on trouve des films dans les festivals ou on nous envoie des films qui nous plaisent. Le plus important pour nous, c’est que le film nous plaise. On ne recherche pas à faire un coup. Notre travail, c’est ensuite la mise à disposition du public. Il faut fabriquer les copies, les faire sous-titrer, rédiger les dossiers de presse, organiser des projections de presse. Les distributeurs ont souvent des attachés de presse, mais nous, on fait tout nous-mêmes, car on pense que c’est mieux, pour nos films en tout cas. Notre travail s’étend du moment où on met la main sur un film jusqu’à sa sortie en salles. On peut aussi organiser des avant-premières, dans des festivals par exemple. Il y a un gros travail de communication et de préparation du matériel technique.
Deux cinéastes sont prépondérants dans votre catalogue: Bill Plympton et Guy Maddin. Vous êtes-vous vous recentrés au fur et à mesure sur ces deux artistes-là?
Ce sont deux cinéastes avec lesquels on a la chance de pouvoir continuer à travailler au fil des années. Souvent, quand des cinéastes commencent à être un peu connus, d’autres distributeurs mettent la main dessus. Pour l’instant, ce n’est pas le cas. Ce sont deux réalisateurs avec qui on a vraiment une relation de confiance. Pour Bill Plympton, c’est particulier, parce qu’il est son propre producteur. C’est donc lui qui décide quand il va travailler avec nous ou non. Guy Maddin, lui, n’est pas producteur. Cela signifie que si on tombe un jour sur un producteur qui n’a pas envie qu’on sorte le film, on ne l’aura pas. Bill Plympton, on est en contact direct avec lui. Cela fait donc un intermédiaire en moins, ce qui est plus pratique. Mais c’est surtout par goût, car on adore ce qu’ils font. On a envie de continuer avec eux. Mais on travaille aussi avec beaucoup d’autres réalisateurs. C’est important pour nous de pouvoir continuer à travailler avec les mêmes réalisateurs, c’est très intéressant. Nous serions tristes si l’un ou l’autre nous échappait.
Vous distribuez des films en salles et vous éditez également des DVD. La démarche est-elle la même pour les deux activités?
L’édition DVD est une démarche qui prolonge la première. On essaye de prendre sur les films des contrats assez longs, d’environ sept ans. Les réalisateurs qu’on suit font souvent des films difficiles. Mais la presse aime en général les films que nous sortons. Cela prouve que c’est un travail important. Mais maintenant, la vitesse de rotation des films est telle, le nombre de films qui sortent chaque semaine est si infernal, que la salle sert de tremplin. Il y a la presse, qui pour Plympton et Maddin a un impact énorme. C’est sur cela qu’on surfe ensuite pour faire vivre le DVD. Les Plympton, c’est ce qui est le plus rentable pour nous, depuis des années. Maddin, c’est notre petit chéri. Il y a eu une presse hallucinante sur le coffret 4 DVD sorti l’année dernière. À terme, on voudrait tout éditer en DVD, pour donner une seconde vie aux films.
Est-ce que l’édition DVD occasionne un nouveau travail avec le réalisateur, pour les bonus par exemple?
Oui, on peut demander à un réalisateur s’il ne veut pas ajouter certains éléments par rapport à un film en particulier. C’est aussi de nouveau un travail de presse. On recontacte tous les journaux qui ont publié de bons articles pour les informer de nos sorties. Cela s’inscrit dans la même démarche que la sortie d’un film en salles. On souhaite rendre disponibles au public des films différents et difficiles. Pour le film, le DVD est vraiment une seconde vie. Notre but est que les films puissent continuer à être visibles. La consommation de DVD a considérablement augmenté. Je pense que, malheureusement pour la salle, beaucoup de gens attendent la sortie du film en DVD pour le voir. Il y a tellement de sorties que c’est le seul moyen, de toute façon.
Le distributeur intervient-il dès la production du film?
En général, on n’intervient pas du tout à la production, puisqu’ils font leur film dans leur coin. Il n’y a que pour Plympton, puisqu’il est son propre producteur. Cela fait deux ou trois films qu’il nous montre l’avancée de son travail et qu’on intervient au milieu du travail, si cela nous plaît -mais son travail nous a toujours plu-, pour lui payer, en amont, les droits du film. Même si le film n’est pas fini, on lui dit qu’il nous intéresse. C’est le seul avec lequel nous prenons vraiment un engagement en amont, dès que nous voyons à quoi cela va ressembler. Mais c’est le seul cas.
Que faut-il faire pour obtenir la distribution d’un film? Est-ce qu’il y a des films qui vous échappent?
Pour l’instant, rien de ce qu’on voulait ne nous a échappé. On est sur un créneau si particulier qu’il n’y a pas vraiment de concurrence. On a eu très peur pour The Saddest Music in the World, parce qu’on trouvait qu’il était beaucoup plus accessible. En fait, comme on sort des films difficiles, on ne se rend pas vraiment compte. Pour nous, il est plus accessible, mais aucun distributeur n’a voulu se positionner dessus et quand le grand public le découvre, il est quand même un peu estomaqué. Mais on ne rencontre pas trop de barrages. Souvent, on acquiert les droits d’un film sans rien payer. Le producteur est déjà content de voir son film distribué en France.
Est-ce que les difficultés rencontrées de nos jours par les exploitants de salles ont des répercussions sur votre travail?
La difficulté pour nous est d’avoir un certain nombre de salles et qu’il y ait des gens dans les salles. Le responsable du cinéma doit vraiment faire un super bon boulot pour que les gens viennent. Je ne veux jeter la pierre à personne, mais certains résultats sont parfois décevants. Le problème est que trop de films sortent chaque semaine. Avant, il y a une dizaine d’années, les films pouvaient faire une carrière sur six mois. Le film sortait, le bouche-à-oreille se mettait en marche. Cela n’existe plus. Maintenant, en un mois, c’est réglé. Même pour des films plus gros que ceux qu’on sort, j’ai l’impression que le bouche-à-oreille ne fonctionne plus. Avant, un film art et essai pouvait se construire. Maintenant il n’a plus le temps de rester.
D’où l’importance d’accompagner le film, d’essayer de l’intégrer dans des projets et pas seulement une simple projection…
Voilà, avec des débats, notamment. Sur certains films, c’est indispensable. Si à l’affiche il y a un Woody Allen, un ou deux films américains un peu côtés et le nôtre, la personne qui veut aller le voir n’en aura pas le temps. Il faut donc faire en sorte de créer un maillage, un réseau. On peut par exemple envisager une séance unique, qui est peut-être plus motivante et donne la priorité à ce film-là. Pour The Saddest Music in the World, soutenu par le GNCR (Groupement National des Cinémas de Recherche), l’intérêt est de ne pas livrer aux salles qu’un objet, qui plus est un peu particulier. Il faut faire un travail tout autour. C’est un cinéma qui peut paraître difficile, très référencé, mais qui est éminemment jouissif. Si on accepte de se laisser porter par autre chose, on en retire beaucoup de plaisir. On vient donc discuter avec les exploitants, on développe des contacts, on sensibilise les salles au travail de Guy Maddin. Tout cela peut aider le film. C’est une démarche essentielle pour faire vivre le film, quand on n’a pas d’autre niveau de communication. De toute façon, ce n’est que du bonus. Dans tous les festivals où nous avons montré le film, il n’y a que des échos positifs. Plus le film est montré en amont, plus le bouche-à-oreille peut se constituer et mieux c’est.
As-tu rencontré des échecs dans ta carrière de distributeur et as-tu des regrets?
Il y a eu plein d’échecs. Beaucoup de nos films se sont plantés. On sait qu’il y a toujours des risques. Même si on aime un film, on sait qu’il y aura peu d’entrées. Il y a cependant toujours un moment, surtout au moment de la presse, où on se dit « Et si? ». C’est terrible. On se prépare aux résultats, et à un moment on baisse le bouclier et on se dit que ça va marcher. Et alors le mercredi, on est super tristes! On s’y était préparés, mais on se pose toujours des questions. On n’attend jamais un résultat énorme, mais on ne peut pas s’empêcher d’y penser. On ne peut pas savoir pourquoi le public va aller voir tel ou tel film. Personne ne sait ce qui va marcher et ce qui va faire qu’un mercredi le public va aller voir un film. Quand on a sorti Les Habitants, d’Alex van Warmerdam, le mercredi à 8h00, personne ne connaissait ce réalisateur. À 14h00, il y avait vingt personnes, ce qui était énorme. Et le soir, c’était complet. Pourquoi? En tout cas, c’était gagné, et c’est quelque chose qu’on ne comprendra jamais.
Quand le nombre d’entrées n’est pas à la hauteur de vos espérances, où est la satisfaction? Dans la presse, le public?
Dans le travail à long terme. Nous sommes intimement persuadés que le travail de ces réalisateurs-là est important, qu’ils ont un œil différent. Le retour presse nous prouve souvent que nous avons raison, même si on n’en a pas besoin pour savoir que nous sommes dans le vrai. C’est à long terme, car ensuite il y a la télé, les DVD, et puis ils feront d’autres films. Quand on a sorti Careful de Guy Maddin, il y a dix ans, c’était affolant comme cinéma. Aujourd’hui, il tourne avec Isabelle Rossellini et la presse l’adore. Peu importe si le film a du succès ou non. En tout cas, c’est un cinéaste qui est selon moi incontournable. L’année dernière, avec Et les lâches s’agenouillent, le plus petit film de lui que nous ayons sorti, on a eu une page dans le Monde et une page dans Libé, sur son film le plus difficile, c’est quand même aberrant. On aimerait vraiment que ça marche. C’est très dur de se prendre une claque à chaque fois le mercredi. Que ça marche un petit peu, c’est très satisfaisant. Ce qui est très minant, c’est qu’un mauvais démarrage le mercredi est révélateur. Maintenant encore plus qu’avant, à 14h00 le mercredi, tu sais si c’est bon ou non. C’est vraiment ce qu’il y a de pire.
Quelle évolution as-tu notée en dix ans dans le milieu de la distribution?
Maintenant, c’est la course au succès. Les distributeurs ont toujours envie de grossir. J’en ai rarement vu contents de là où ils en étaient. Nous, on a envie de rester là où on est. On ne fait pas de paris monstrueux sur des films en mettant plein d’argent dedans et en risquant la vie de la société sur un coup. Contrairement à d’autres, on sort des films de plus en plus difficiles parfois. Au niveau de la distribution, le milieu s’est extrêmement durci. Le paysage est devenu effrayant depuis quelques années.
Est-ce que tu penses que cela peut revenir comme avant ou que tout va exploser?
Honnêtement, je ne sais pas. Je ne vois pas comment empêcher les sorties de films. Les gens vont peut-être aussi moins au cinéma et regardent plus de DVD. Je ne vois pas comment la situation peut s’améliorer, mais j’espère qu’elle ne va pas empirer. En tout cas, il est sûr que pour nous, au niveau de la diffusion de nos films, il faut qu’on trouve une autre manière de faire voir nos films. Il ne s’agit pas de les programmer, mais de les montrer. Une séance est suffisante. Pas pour Plympton ou des projets plus gros, mais pour les petits films, il faut déjà que les gens puissent les voir. Je pense qu’il y a une partie du public qui a envie de voir des choses différentes. Il faut que ce public ait accès au film. Depuis quelques mois, il y a des bouleversements énormes dans le cinéma, il y a une grande baisse de fréquentation des salles. Si cette tendance se poursuit, il va falloir qu’on change beaucoup de choses au niveau de la distribution de nos films, trouver d’autres moyens de les montrer, mais ne pas rentrer dans ce circuit qui bouffe du film, qui le digère et qui le recrache sans avoir rien fait, c’est impossible. Il faut trouver un autre moyen pour que les films soient vus et qui ramène un peu d’argent quand même. Mais si on les laisse partir dans cette moulinette qu’est actuellement le système, cela ne servira à rien et nous ne pourrons plus continuer.
Y a-t-il d’autres types de cinéma que tu n’as jamais distribués mais qui te tenteraient?
Il y a des tas de films auxquels je sais que nous n’aurons jamais accès, parce que c’est trop cher. Mais de toute façon, il n’y a pas d’intérêt à aller se battre sur un film que tout le monde veut. Il y a forcément des films que j’aurais aimé sortir et qui ont été sortis par d’autres. Financièrement, nous ne pouvons rivaliser avec personne. Ce qui serait dur, ce serait que des réalisateurs qu’on aime vraiment soient pris par d’autres. Mais tout le monde a vécu cela. Malgré ce que dit Marin Karmitz à longueur de journée, ce n’est pas lui qui a découvert Hong Sang-soo, c’est ASC, qui bosse dans les mêmes bureaux que nous. En tout cas c’est très agréable de sortir de nouvelles personnes. Nous sommes là pour ça.