À l’occasion de la sortie de Bêtes Blondes, leur premier long-métrage, Alexia Walther et Maxime Matray dialoguent avec l’acteur Thomas Scimeca qui interprète une ex-vedette de sitcom ayant perdu la mémoire à la suite d’un accident de moto. Ils reviennent sur le processus d’écriture de l’œuvre, sur leurs influences et les paradoxes qui innervent le film, du titre jusqu’à la bande-son.
La structure morcelée de Bêtes Blondes peut s’apparenter à un cadavre exquis. Est-ce ainsi que s’est construit le scénario ?
Alexia Walther : Le film est né d’images et de rêves mais aussi de littérature, de peinture ou de bande dessinée. À partir de tout ça, nous avons essayé de créer une histoire, de tirer un fil.
Maxime Matray : Nous avons construit le film en fonction de l’état d’abandon, de mélancolie vers lequel nous souhaitions amener le personnage de Fabien. À deux, l’histoire se fabrique par assemblage, comme la créature de Frankenstein. Le film est comparable à un corps dans lequel Yoni serait le squelette et Fabien la chair. Tandis que la trajectoire du premier est rectiligne, le second s’attarde : il rencontre des gens, il boit…
Thomas Scimeca : Fabien s’intéresse aux choses de manière instinctive, un peu comme un animal. Il semble plus absorbé par son histoire avec Katia que celle avec Yoni qui est pourtant plus profonde, plus intime. Peut-être qu’inconsciemment, elle lui rappelle qu’il était quelqu’un d’important. Il a une double personnalité : parfois concentré, parfois absent. Dès que les choses deviennent un peu compliquées, il fuit. Il vit dans l’instant.
Fabien incarne non pas un mais une multitude de personnages : il y a le Fabien du passé et celui du présent, celui d’avant et celui d’après la mort de Corinne ou encore celui en costume nœud papillon et celui en chemise ikat…
T.S : Ce sont les autres qui lui montrent qu’il a plusieurs vies, différentes facettes et des problèmes à régler. Lui ne se souvient de rien et ne semble avoir d’autre souci que de rentrer à Paris pour retrouver ses chats. C’est un peu comme s’il était dans le mauvais film : alors qu’il aspire à la routine, il se retrouve pris dans un road-movie. Au début, lorsqu’il se réveille affublé d’une chemise ikat et de santiags, on peut se demander si on ne s’est pas amusés avec lui comme avec une poupée à le mettre dans un costume pendant qu’il dormait, puis à l’installer dans un autre endroit, puis dans un autre film. Il n’a pas beaucoup de projets et d’imagination, ce qui le plonge dans une profonde tristesse. La perte de l’imaginaire est pire que la perte de l’objet, comme disait Barthes. Pour que tout s’arrête, il s’endort. Peut-être même qu’il aurait aimé mourir.
Le caractère hybride du film provient aussi du mélange des genres. Quelles étaient vos différentes influences ?
M.M : The Swimmer de Franck Perry, dans lequel le personnage principal (interprété par Burt Lancaster) rentre chez lui en plongeant de piscine en piscine. En même temps qu’il remonte à la nage, il remonte vers son passé et on découvre qu’il n’est plus tout à fait ce qu’il prétend être. Toute l’assurance qu’il a au début se défait progressivement le long du film.
T.S : Au-dessous du Volcan de John Huston nous a aidés à travailler la dimension corporelle du personnage, qui a quelque chose de burlesque et d’animal. Ensuite, il y a mes propres références, qui vont de The Party de Blake Edwards à La Chèvre de Francis Veber, dans lequel Pierre Richard travaille avec adresse à être le plus malhabile possible. Avec son côté absurde, Bêtes Blondes m’évoquait aussi l’univers de Quentin Dupieux.
M.M : Ce qui nous a plu chez Thomas, c’est justement sa dimension très corporelle. Il n’est pas particulièrement imposant et pourtant, même quand il ne fait rien, il y a chez lui une évidence du corps, qui s’impose dans le cadre.
A.W : Dans un passage d’Au-dessous du volcan, on voit le personnage incarné par Albert Finney marcher, très digne, alors même qu’il est complètement saoul. Comme lui, Fabien possède un vrai fond de mélancolie. Nous n’avons pas seulement travaillé la comédie. C’était difficile de trouver quelqu’un qui ne soit pas ridicule dans la sitcom, avec Thomas ça fonctionne très bien.
Il y a ce paradoxe dans le jeu de Thomas, qui fait écho au ton à la fois comique et tragique du film.
T.S : C’est ce qui m’a intéressé dans le scénario. J’y ai vu une multitude d’émotions, de sens, d’incarnations par lesquels passer. De temps en temps, il y avait des touches très sombres dans le personnage ou dans celui de Yoni. C’est un personnage très angoissé. Les gens ne sont peut-être pas habitués à me voir dans ce genre de rôle. On ne voulait pas enfermer Fabien dans le personnage du clown ou de l’idiot, au sens noble du terme.
M.M : La séquence où Fabien et Yoni s’arrêtent sur l’autoroute était beaucoup plus drôle au départ. C’était presque une scène de bashing. Sur le tournage, nous nous sommes rendus compte qu’il ne fallait pas la jouer comme une séquence comique de plus parce que c’était là que se nouait quelque chose entre les personnages. Nous nous sommes souvent entendus, parfois assez tacitement, sur le rythme des séquences et les émotions.
Vous faites une utilisation paradoxale des optiques anamorphiques que vous associez à un format 1.37×1 (au lieu du Scope). Était-ce une façon de créer une image composite, qui soit le reflet du film ?
M.M : C’était une volonté assez théorique d’intégrer le film dans le format de la sitcom, par son format, avant même qu’on ne la voit. Visuellement, c’était problématique car aujourd’hui le 4/3 nous renvoie à d’autre chose que le cinéma : la télévision, les réseaux sociaux… C’est notre chef-opérateur, Simon Beaufils, qui a eu l’idée d’utiliser des optiques anamorphiques. Tout a été filmé en 2.35 mais cadré en 4/3. C’est un peu l’inverse de ce qu’on pourrait s’attendre à voir avec ce type d’image.
A.W : Les aberrations de l’optique produisent un effet poétique. Nous avions surtout envie d’une image très colorée, qui soit intéressante sans que l’on ait besoin d’avoir recours à la pellicule. L’image du film est très numérique, nous n’avons pas ajouté de grain.
Les styles de musique que vous utilisez sont également très variés. Y’a t’il là encore une volonté d’inscrire l’éclectisme du film dans la bande-son ?
A.W : Certaines musiques correspondent aux personnages. À chaque fois que la tête de Ricky apparaît, nous utilisons une musique de style aztèque qui semble venir d’entre les morts. Pour Yoni, il s’agit d’une musique expérimentale, inspirée d’une rythmique vaudou. Lorsqu’on l’entend dans la forêt, elle fait écho aux émotions du personnage : c’est son cœur qui s’emballe.
M.M : C’est une musique agressive, de mise en transe. La musique du générique de fin est son versant lumineux. Quand Fabien est seul dans la nature, il est accompagné par du Debussy, réarrangé de façon électronique. Nous sommes partis d’un morceau intitulé « Syrinx », qui évoque la figure du faune. C’était une manière de situer Fabien entre l’être humain et l’animal.
Dans vos films, la présence d’animaux est récurrente. Souvent, les places entre humains et animaux semblent interchangeables. Souhaitez-vous, à travers la fiction, proposer l’utopie d’une horizontalité entre les espèces ?
A.W : Oui. On le voit dès le début du film, dans la précision avec laquelle on filme les insectes. Le point est aussi tout aussi bien fait sur le regard de Fabien que sur la corne de l’escargot. Qu’il s’agisse d’une sauterelle, d’un chat : pour nous, il s’agit de la même présence au monde.
M.M : Il y a un plaisir avant même de les filmer à regarder les animaux, à se projeter dans ces vies absolument incompréhensibles. C’est peut-être ce qui les rend fascinants : on a du mal à imaginer ce que ça serait d’être à leur place.
T.S : Dans le film, il y a effectivement ce chien qui me regarde et qui semble me dire que je suis de la même espèce que lui.
On peut penser que le titre du film, à travers le mot « bêtes » réfère à cette animalité. Pourtant, l’adjectif « blondes » évoque plutôt quelque chose d’humain, voire d’artificiel. D’où vous vient l’idée d’appeler le film ainsi ?
M.M : Au départ, il s’agit d’une formule employée par Nietzche dans Généalogie de la morale. Mais cela a très peu à voir avec le film : chez Nietzche il est question de barbare tandis que Fabien est tout sauf un guerrier. De manière plus triviale, cela nous faisait penser à l’ingénuité de la blondeur chez les comédiens des sitcoms des années 1980, comme Mark-Paul Gosselaar de Sauvés par le Gong, qui était un peu notre modèle. La bête renvoie aussi à la bête de cirque qu’est Fabien, qu’on met sur le devant de la scène et qui semble dépassée par ce qui lui arrive. Du point de vue de la sonorité, « bêtes » renvoie aussi à la « tête » de Ricky.
Paris représente l’horizon du film, la quête initiale du personnage principal. Pourtant, on ne voit finalement de la ville qu’un escalier, l’intérieur d’un bar et une poignée de rues désertes. Comment expliquez-vous que les plans larges de la ville soient absents du film ?
A.W : Nous voulions que l’espace se resserre, que le décor devienne de plus en plus artificiel afin de rentrer dans la sitcom.
M.M : C’est une façon de rentrer dans la boîte (de télévision). Fabien dit qu’il rentre à Paris mais en réalité il vit dans un rez-de-chaussée à Bagnolet, qui est comme une version appauvrie de la nature du début.
Quels sont vos projets pour la suite ?
A.W & M.M : Nous commençons à écrire un second long-métrage, un film d’inspiration chandlérienne qu’on aimerait tourner hors-saison dans le Var.
T.S : Je viens de terminer le tournage de Notre Dame de Valérie Donzelli. On pourra également me voir dans La Belle Epoque de Nicolas Bedos, avec Daniel Auteuil, Guillaume Canet et Fanny Ardant, et dans le prochain film de Jean-Christophe Meurisse, le réalisateur d’Apnée. Au théâtre, je prépare un projet avec Anne-Elodie Sorlin et Maxence Tual, d’anciens membres des Chiens de Navarre, et je jouerai dans la prochaine pièce de Marcial Di Fonzo Bo, Le Royaume des animaux.