Romancier argentin sulfureux, s’inspirant de sa propre vie pour écrire, Pablo Pérez est aussi le co-scénariste d’Un Año sin Amor, film adapté de son premier roman. Sa sortie est l’occasion pour lui de nous parler de son rôle dans l’élaboration de ce film qui s’est beaucoup fait remarquer dans diverses festivals internationaux où il a récolté de nombreux prix, comme le Teddy Award du meilleur film au Festival de Berlin (2005), le Prix Fipresci de la critique du Festival de Mar del Plata (2005), le Prix du meilleur film de fiction étranger au 17ème Festival du Film Lesbien, Gay, Bisexuel et Transgenre de New York (2005) et le Prix du meilleur film au Festival de Los Angeles OUT FEST (2005), ainsi que la Mention Spéciale du Jury Image+nation au Montréal LGBT Film Festival (2005).
Pourriez-vous nous dire dans quelles circonstances vous avez été amené à adapter votre propre roman pour le cinéma ?
J’ai été contacté par Anahí en 2002, quelques mois après avoir été interviewé pour Máximo – un magazine de thématique gay et lesbienne pour la télévision câblée, qu’elle produisait –, à propos de la publication partielle de mon deuxième roman, El Mendigo Chupapijas (Le Suce-Bites SDF), dans une anthologie. Anahí voulait un scénario adapté de ce roman, elle n’avait pas encore lu Un Año sin Amor. Après quelques réunions, nous avons décidé d’adapter les deux romans, car l’un est la suite de l’autre. Par exemple, la scène où le père de Pablo lui reproche d’avoir écrit le livre correspond au chapitre final de El Mendigo Chupapijas.
La réalisatrice, Anahí Berneri, vous a‑t-elle laissé beaucoup de liberté par rapport à l’authenticité des faits ? Avez-vous inventé certaines scènes ?
Nous avons tous les deux rajouté des scènes inventées.
Y a‑t-il une différence entre adapter sa vie pour un roman et l’adapter pour le cinéma ? Par exemple, appréhendiez-vous les scènes « sexuelles » de la même manière ?
Oui, bien sûr, il y a une différence. Pour mes deux romans, j’ai travaillé seul et écrit tout ce que je voulais. En revanche, pour l’adaptation, j’ai dû considérer les besoins de la réalisatrice pour son film, comme prendre en compte la grande équipe qui intervient pendant le tournage. Quant aux scènes sexuelles, je les trouve assez réussies, à l’exception de quelques détails sans importance, dont seul quelqu’un qui connaît les codes du sexe cuir-SM peut se rendre compte.
Vous avez participé au tournage, notamment pour les scènes se déroulant dans le club SM. Pouvez-vous nous quelle contribution vous avez apportée et comment cela s’est déroulé ?
Pour la scène du club cuir, j’ai convoqué mes amis cuir – à part les figurants convoqués par la production – et j’y ai participé moi-même comme figurant. Quand j’ai été consulté par Anahí pour cette scène, je lui ai proposé que le tournage ressemble plus à une vraie fête qu’à un tournage. Le résultat a été une fête excellente, procurant un matériel documentaire très réussi sur le sujet qui dure plus de cinquante minutes.
Comment avez-vous perçu ces scènes en les voyant à l’écran ? Le passage de la réalité au cinéma vous a‑t-il tout de même fait ressentir l’atmosphère qu’on trouve dans ce genre de club ?
Oui, parfaitement. C’est d’ailleurs très amusant, car un des groupes cuir de Buenos Aires a fait plusieurs fêtes dans le même lieu après la sortie du film en Argentine.
Dans le film, il y a une scène où l’on voit Pablo donner des leçons de français à une jeune étudiante. Pour lui faire travailler sa prononciation, il répète plusieurs fois : « Je ne t’aime pas du tout. » La réalisation s’attarde sur cette phrase, en filmant en gros plan la bouche de Pablo, comme pour mieux signifier qu’il n’est pas du tout attiré par les femmes. Cette scène figurait-elle dans votre livre ? Et comment la percevez-vous ?
C’est Anahí qui a écrit cette scène car elle avait besoin de donner « un peu de souffle » aux spectateurs avec un personnage féminin, gracieux, lumineux. Je n’ai pas tellement aimé cette scène où le personnage de Pablo paraît un peu misogyne, surtout quand il se frotte la joue avec la main après la bise que lui fait la jeune fille. Cela ne correspond pas du tout à la réalité. J’aime enseigner et suis plutôt affectueux envers mes élèves.
Plus généralement, quelle fut votre impression lorsque vous avez (re)découvert votre vie à l’écran ? Et qu’avez-vous pensé de l’interprétation de Juan Minujin ? Vous y êtes-vous reconnu ?
À l’écran, je n’ai pas redécouvert ma vie mais le cinéma. Je considère que même mes romans, bien que pleins d’éléments autobiographiques, ne sont que des fictions. Quant à l’interprétation de Juan Minujín, je la trouve très bonne.
D’après vous, quelle contribution Anahí Berneri, la réalisatrice, en tant que femme hétérosexuelle, a‑t-elle pu apporter à cette histoire qui se situe dans le milieu gay argentin ?
Anahí a réussi un film très difficile, elle est très intelligente. Elle a raconté une histoire où l’homosexualité et le fétichisme cuir-SM ne sont pas montrés comme des phénomènes, tout cela sans tomber dans les clichés si fréquents dans le cinéma argentin, comme les homos dont l’unique question semble être d’assumer leur homosexualité ou non. Dans son film, il ne s’agit pas de cela, mais de montrer la solitude, la peur de mourir, la maladie comme une circonstance à surmonter, le besoin d’affection. D’ailleurs, je trouve très important de rappeler à la société que le SIDA existe toujours et que, même s’il y a des traitements qui permettent de mener une vie normale pour les personnes atteintes par cette maladie, il faut un grand effort, de la volonté et une grande envie de vivre pour supporter les pénibles démarches bureaucratiques afin d’obtenir les médicaments et supporter le traitement pour on ne sait combien de temps.
Avez-vous d’autres projets pour le cinéma ? Souhaitez-vous renouveler l’expérience ?
Je travaille en ce moment sur deux romans et j’ai des propositions pour les publier en Argentine. Je travaille aussi sur un nouveau scénario mais je ne l’ai encore montré à personne.