Le Festival du film arabe de Fameck fêtait cette année ses trente ans. Organisé autour de la Cité sociale de la ville, il ne s’est jamais détourné de son ancrage local et populaire et devient chaque année, pendant dix jours, le point de ralliement du quartier. S’il reste avant tout un festival à taille humaine, son organisation et sa programmation affichent une réelle ambition en proposant une quarantaine de films en compétition, ainsi que des hommages et des rétrospectives qui prenaient, en cette édition anniversaire, un sens particulier. À la lumière du chemin parcouru dans les dernières décennies et de la mutation récente des circuits cinéphiliques, on pourrait légitimement s’interroger sur la pertinence actuelle de mettre ainsi à part le cinéma arabe, peut-être pour le cantonner à une certaine idée que l’on se ferait de lui et de son public. Mais l’ensemble des films sélectionnés, par leur portée politique, par le regard qu’ils posent sur l’époque, mais aussi – parfois – par une audace formelle dépassant les clichés, lève bel et bien cette réserve.
Toutes sections confondues, la programmation embrassait cette année deux heureuses dynamiques contemporaines : la montée en puissance des cinéastes femmes et la plus grande visibilité du documentaire dans une logique de porosité entre les genres (fictions, documentaires et films d’animation concourant pour les mêmes prix). Les sept œuvres sélectionnées pour le Grand prix résument à elles seules nombre des problématiques abordées dans l’ensemble de la programmation. Les personnages féminins s’y trouvent en position de force, de l’activiste féministe menacée de mort dans son propre pays (Fatwa de Mahmoud Ben Mahmoud) à la combattante du djihad devenue terroriste kamikaze (Vent divin de Merzak Allouache), en passant par les résistantes syriennes (They Day I Lost my Shadow de Soudade Kaadan) et les mères désemparées (Une urgence ordinaire de Mohcine Besri). Toutes se trouvent prises dans les contradictions sociétales et géopolitiques d’un monde constamment montré au bord de l’abîme. La guerre en Syrie, représentée frontalement ou sur le mode de l’évocation, agit comme le fil rouge menaçant de toute la sélection, charriant avec elle les questions de la radicalisation, de la rébellion, de l’exode (Le Voyage inachevé de Joud Said) et de la mondialisation de la violence. Dans leur dimension résolument sociale, la plupart des films tentent de dessiner les contours d’une nouvelle lutte des classes non plus uniquement fondée sur la réussite sociale, mais également sur les inégalités entre les territoires (la ville contre la campagne, ou encore la zone occupée contre l’état triomphant dans Mafak de Bassam Jarbawi), sur les affrontements idéologiques (le fondamentalisme contre la quête de liberté), ou sur les différences générationnelles (Good Morning de Bahij Hojeij).
Vent divin, Merzak Allouache
Parmi des films parfois un brin trop explicatifs on a su gré à certains cinéastes de laisser une place au non-dit et à l’ambiguïté. Merzak Allouache, dans Vent divin, suit le parcours d’un jeune homme devenu islamiste recruté par une combattante de Daesh pour perpétrer un attentat suicide contre une raffinerie du Sahara algérien. La rareté des dialogues auxquels se substituent des gros plans sur le visage des protagonistes permet paradoxalement de donner à voir les contradictions qui les animent. Avec une grande économie de moyens (peu de décors, une chronologie resserrée et une stricte unité d’action) et sans élan de sentimentalité, le réalisateur installe peu à peu une lutte intime entre pulsion morbide et amour naissant. Le noir-et-blanc particulièrement efficace (cf. les scènes nocturnes où l’écran n’est parcouru que de quelques lueurs) dialogue avec une topographie étrange, à la bordure du désert, entre des paysages minéraux écrasés de lumière, de fraîches oasis et une maison sombre et fermée sur elle-même.
Fatwa, Mahmoud Ben Mahmoud
Le film primé par le jury des longs-métrages prend la forme d’une enquête dans la société tunisienne actuelle en proie à la menace salafiste. Un homme rentré au pays pour enterrer son fils qu’il connaissait mal découvre peu à peu que celui-ci frayait avec un groupe de fondamentalistes violents qui n’est peut-être pas étranger à sa mort. S’il n’est pas complètement dénué d’un certain manichéisme, notamment dans sa description de la radicalisation, le film trouve sa vérité à travers les personnages en miroir de la mère du jeune homme, personnalité publique défendant les droits des femmes dans un contexte de plus en plus dangereux, et de l’épouse du chef de bande des islamistes qui, humiliée et battue par son mari, se met en quête de sa propre liberté. Surtout, le réalisateur fait le constat désespérant d’une société irréconciliable à tous les niveaux, la lutte s’organisant dans le film à l’échelle d’un immeuble, d’un quartier, d’une ville et d’un pays entier. Ces dissensions à l’œuvre à la fois dans la sphère familiale et à la mesure de toute une région du monde sont précisément celles qui semblent parcourir l’ensemble des films de la sélection où les combats quotidiens deviennent le révélateur des tensions de l’époque.