Le Festival Biarritz Amérique Latine de « cinémas et de cultures », qui fêtait cette année sa trentième édition, ménage un entre-deux assez réjouissant, comme le font parfois certains festivals de taille intermédiaire (on pense aussi à celui d’Angers) ; il prend tout à la fois la forme, justement, d’une fête qui s’inscrit – certes partiellement – dans l’espace de la ville, en offrant un aperçu des singularités littéraires, musicales ou culinaires des différentes cultures représentées, et d’une programmation cinématographique parfois assez pointue, notamment dans sa sélection documentaire qui, loin de se borner à donner des « nouvelles du monde », pour reprendre la formule consacrée, témoigne d’une hybridation bienvenue avec le cinéma expérimental. Quand bien même les productions cinématographiques des différents pays d’Amérique du Sud sont animées par de grands sujets communs (dénonciation de régimes corrompus, inquiétudes écologiques, etc.), nombre des films que nous avons pu voir s’arcboutaient autour d’un autre horizon partagé : un retour au primitif et à l’origine constitutive d’un regard.
Passons un peu vite sur Pedra Noche, film d’ouverture peu convaincant qui raconte l’histoire, mâtinée de fantastique, du deuil d’un enfant. Le deuil est devenu en l’espace de quelques années l’un des tropes les plus rabattus du cinéma de festival, qu’Iván Fund explore sous un angle lointainement spielbergo-nicholsien. Deuil + quelques emprunts au « cinéma de genre », donc, soit l’équation de deux tendances à la mode, pour un film égrainant quelques belles idées à moitié exploitées (le rapport étrange qui se noue entre le père de l’enfant disparu et un jeu vidéo auquel ce dernier jouait), mais qui accumule surtout des bouts de scènes mal collées les unes avec les autres et s’arrêtant souvent à mi-chemin (la présence d’un monstre figurée par le mouvement d’une bouée sur l’océan). Esquirlas de Natalia Garayalde, où il est aussi question de traces que laissent les enfants, est en revanche peut-être le plus beau film vu lors de notre passage sur la côte basque. À partir des archives vidéo de la petite caméra familiale, la réalisatrice revient sur la catastrophe qui a ravagé sa ville natale de Río Tercero, où l’explosion d’une usine militaire a eu des conséquences matérielles et sanitaires dévastatrices. Le film débute par une série de fragments représentant un Éden perdu, où l’apprentie réalisatrice, en compagnie de son frère, s’ingénie à des petits trucages quasi mélièsiens : un faux JT filmé la tête à l’envers, l’ascension fictive d’une montagne filmée horizontalement, où son frère rampe sur le sol du jardin familial, etc. Et puis le ciel s’embrase. La caméra s’attarde désormais sur les stigmates de la déflagration, dans une « mise en scène » toujours empreinte de ludisme (Garayalde joue à la journaliste en présentant telle façade détruite ou en interviewant la directrice de son école), mais où pointe des traumas à venir que la cinéaste adulte, par un travail de remontage, ressaisit : un regard inquiet entre ses deux parents, ou encore la présence lointaine d’une grande sœur admirée, qui périra d’un cancer lié à l’explosion et dont le fantôme hante le film. Bel exercice, simple et singulier, parfois très émouvant dans sa pudeur (la scène du père à l’hôpital, lui aussi touché par un cancer), certes par endroits un tantinet appliqué (en témoigne la séquence finale qui lie, image et commentaire à l’appui, les radiographies de cancérologie à celles que le père, médecin, faisait sur les projectiles disséminés par l’explosion, pour mesurer leur dangerosité), mais qui évite toujours habilement le piège de l’emphase et du nombrilisme.
Tout l’inverse de Objetos rebeldes de Carolina Arias Ortiz, consacré à d’énigmatiques sphères de granit présentes au Costa Rica et que d’aucuns attribuent à une civilisation extra-terrestre. Intriguant point de départ, qui laisse hélas place à un documentaire autocentré et narcissique, que l’on devine animé par un désir tâtonnant de trouver un sujet susceptible de « faire œuvre » – la cinéaste explique ainsi, au début du film, le réaliser car elle ressent « le besoin de recréer un lien avec le Costa Rica ». Et le film de lier ce mystère collectif à la relation de la réalisatrice avec son père perdu de vue. L’entrelacement en devient presque comique : les sphères sont autant envisagées sur un plan cosmologique que comme des orbes testiculaires, analogie naturellement entretenue par cette double quête des origines où se mêlent une forme vaguement arty (noir et blanc, poses photographiques) et considérations confuses sur l’univers, le racisme du pays et la dépréciation de l’héritage indigène du pays.
Dispositif, mon beau dispositif
Terminons enfin par évoquer deux films à un peu à part. Le premier est là, encore, un documentaire, Concertio para la batalla de El Talla, signé Mariano Llinás. Difficile de résumer simplement le film, qui retrace une bataille mythifiée des guerres civiles argentines par un long texte, s’affichant noir sur blanc à l’écran, et la captation de l’enregistrement d’une pièce musicale composée à cette occasion. Se mêlent aussi à ce curieux assemblage des scènes où le facétieux cinéaste prépare le tournage et évoque son projet, mais aussi des chants d’époque réinterprétés par l’équipe technique. Il faut peut-être voire moins la chose comme un film – car de fait, formellement, ce « concertio » ne vaut que pour sa structure panachée et composite – que comme une sorte de récréation musico-littéraire qui finit par amuser, à défaut de réellement passionner. Il y a chez Llinás une préciosité du dispositif, une suprématie du « geste » sur la forme qui le rapproche d’un cinéaste comme Miguel Gomes, avec lequel il partage un goût du bricolage, mais aussi un ton un brin trop cuistre pour que ses installations séduisent tout à fait.
De bricolage, il en est aussi question dans Date una vuelta en el aire de Cristián Sánchez, dont l’économie de tournage (le film aurait été réalisé en moins de vingt-quatre heures) n’empêche pas une ambition comique pour le moins étonnante, le film proposant ni plus ni moins qu’une sorte de variation sur L’Ange exterminateur de Luis Buñuel combinée au fantastique de Twin Peaks – The Return de David Lynch. Construit autour de dialogues longs et absurdes, le film tient un difficile équilibre entre une forme de fantaisie jamais surjouée et une réelle croyance en les capacités du cinéma à filmer les forces de l’invisible. Bref, un petit film habilement mené qui remporte son pari, et qui confirme que les titres les plus intéressants de cette trentième édition auront fait le choix de l’humilité.