Comme tous les derniers jeudis du mois à l’Institut National d’Histoire de l’Art, le festival ImpaKt, observatoire privilégié de la création émergente, offrait carte blanche à un artiste dont la production se situe entre nouveau cinéma et art contemporain. Pour cette deuxième séance de la saison 2009, c’était au tour du jeune poète, journaliste et cinéaste libanais Waël Noureddine de présenter son travail. Ses courts-métrages tels que Chez nous à Beyrouth (2001), Ce sera beau (2005), July Trip (2006) ou A Film Far Beyond a God (2008) ont été diffusés et primés dans de nombreux festivals.
Pour inaugurer cette séance intitulée « Attentat visuel », le cinéaste a lancé une pluie de petits papiers qui s’est abattue sur le sol, sur lesquels étaient inscrits de courtes citations revendicatives. Chacun a pioché au hasard des phrases de Mao, Lenine, Bakounine, Aimé Césaire. Ce geste artistique n’était pas anodin. Il renvoie en effet directement à son œuvre cinématographique engagée et constellée de citations.
Sur les quatre murs de la salle s’est ensuite déroulée une projection inédite construite à partir de séquences de ses films, de rushes et de clips. Une première projection a commencé sur un pan de mur puis selon la structure musicale du canon, sa fin en a appelé d’autres qui ont surgi alors que celle-ci revenait à son début.
Le chaos sonore des bandes-son se superposant et le flux d’images de ce dispositif fait naître un sentiment d’oppression, inhérent à la guerre, thème privilégié du cinéaste. Avec cette installation, il invite le regard des spectateurs à parcourir les différents écrans afin de reconstruire sa propre narration. On peut regretter cependant de ne pas avoir pu avec la configuration proposée circuler plus aisément dans la salle pour s’immerger d’avantage et passer plus librement d’une projection à l’autre. Mais finalement ce n’était peut-être pas au spectateur d’aller vers les images mais aux images d’aller vers lui, pour cet attentat visuel d’une rare violence.
Les motifs du revolver, de la drogue et de la caméra utilisés pour leur valeur symbolique sont récurrents dans cette œuvre qui dénonce avec singularité les conflits au Liban. Le cinéaste a ressenti, en 2006 quand la guerre a éclaté, l’urgence de témoigner, de constituer des archives pour lutter contre l’oubli. Mais il ne se contente jamais d’enregistrer de façon objective la violence qui éclate devant ses yeux. Il s’implique physiquement dans ces films, la caméra devient un prolongement de son corps. Le cinéma de Waël Noureddine est un cinéma du ressenti, de l’émotion.
L’artiste se met volontiers en scène, il refuse de se cacher derrière sa caméra et de nier la technique. Il fait usage des drogues et de l’alcool pour supporter l’inhumanité du conflit. La parole est presque absente, ni interview, ni voix off n’interviennent dans ces films. Elle passe davantage par l’image que par les mots. Les silences sont pesants et témoignent de l’angoisse de l’attente insupportable en ces périodes d’affrontement.
Il s’affranchit des codes du reportage journalistique pour exploiter le support vidéo d’une manière toute personnelle. Il joue avec les limites techniques de ce medium : flou, bougé, décadrage. La pixellisation des cadavres ensanglantés brouille nos repères ; on perçoit ces corps avec le regard de l’auteur, l’esprit embrumé par les drogues. Ce travail sur la basse résolution fait écho à la série des JPEG du photographe allemand Thomas Ruff. L’image ne ramène plus seulement à sa réalité tangible mais à son support. Cette séquence nous renvoie aux images qui défilent sur nos écrans, dont nous sommes continuellement abreuvés, et engage une réflexion sur la représentation. Comment témoigner de l’horreur de la guerre ? Quel est le rôle du cinéma face à ces tragédies de l’Histoire ? Le cinéaste tente de répondre à ces interrogations en s’armant de sa caméra. Ces images tournées en HDV alternent avec des plans en 16mm. La pellicule est généralement utilisée pour enregistrer des plans fixes, plus classiques. Alors que sa caméra Sony fait office d’électrocardiogramme enregistrant le pouls de la vie avec force et brutalité.
Les deux techniques s’enrichissent mutuellement pour construire ces essais documentaires bouleversants, d’une rare sensibilité.
L’installation « Attentat visuel » nous invitait à revisiter l’œuvre inépuisable de ce talentueux cinéaste expérimental.