Pour la sixième année consécutive, le sous-continent indien s’est invité en Italie par sa porte la moins voyante : le cinéma d’auteur. Du Pakistan au Sri Lanka, en passant par l’Allemagne et l’Italie, le Festival River to River invite ceux qui savent aimer l’Inde et en parler, hors de tous les clichés habituels et loin de Bollywood.
Ils sont tous passés par là, ou presque : de Rituparno Ghosh à Aparna Sen, en passant par Rahul Bose et Manish Jhâ, les cinéastes indiens contemporains les plus intéressants se sont fait connaître à Florence avant d’être enfin plus ou moins reconnus à l’étranger. Il faut dire que la ville de Laurent de Médicis et de Michel-Ange est la seule en Europe à proposer un véritable festival de cinéma d’auteur indien, où les noms de Shahrukh Khan et de Bollywood n’ont pas droit de cité. Et c’est grâce à la ténacité d’une passionnée, Selvaggia Velo (la directrice du Festival) que l’Inde continue à enthousiasmer un public de plus en plus large chaque année. Car les subventions publiques se font de rares, résultat d’une politique culturelle italienne désastreuse.
La sélection du Festival est très éclectique. Qu’il s’agisse de documentaires, de courts et longs métrages, le seul mot d’ordre est de montrer l’Inde autrement. Au fil des années, on a ainsi pu découvrir les tendres et poétiques oeuvres de la réalisatrice bengalie Aparna Sen (Mr and Mrs Iyer, 15 Park Avenue), tout comme des films plus politiques, résolument en décalage avec l’idée que l’on se fait de l’Inde à l’étranger (Matrubhoomi, un monde sans femmes, de Manish Jhâ). La qualité des films présentés est tout aussi hétérogène, mais c’est cela aussi qui fait le charme du Festival River to River : en présentant des films pour la plupart inédits en Europe (et parfois en Inde également!), la direction du Festival prend toujours le risque de ne pas être comprise d’un public parfois peu connaisseur des réalités.
Cette année, River to River (qui est un Festival du public, où ce sont les spectateurs qui votent) a primé le très spectaculaire Infinite Justice, film pakistanais inspiré de l’assassinat de Daniel Pearl. Si l’on peut reprocher au cinéaste Jamil Dehlavi d’avoir voulu réaliser une œuvre « à l’américaine », il faut lui rendre justice d’un traitement passionnant et sans parti-pris de la mouvance al-Qaida et des rapports ambigüs entre Orient et Occident. On retiendra également de la sélection Maine Gandhi Ko Nahin Mara (I did not kill Gandhi) de Jahnu Barua, magnifique et tendre ode d’amour d’une fille à son père, atteint de la maladie d’Alzheimer et convaincu qu’il est le meurtrier du Mahatma Gandhi. Dans la sélection de courts-métrages, souhaitons au réalisateur de Flower Girl, poème muet inspiré d’une légende indienne, un avenir cinématographique aussi riche que cette première œuvre. Quant aux documentaires, ils sont souvent une occasion de découvrir des aspects totalement inconnus du grand sous-continent indien, tels l’affaire des disparus du Cachemire – des centaines d’hommes enlevés par l’armée indienne et dont les familles n’ont aucune nouvelle depuis parfois une dizaine d’années.
Il faut souhaiter longue vie au Festival du film indien de Florence. Car sa disparition entraînerait sans doute un nouveau cloisonnement du cinéma d’auteur indien, qui peine déjà à survivre. Or l’Europe a besoin du regard de l’Inde, au moins pour mieux comprendre le nouveau monde dans lequel elle s’engage.