Il fait plutôt beau à Florence en ce premier week-end de décembre, mais les spectateurs se pressent devant le superbe cinéma Odéon, en plein cœur de la ville pour découvrir le troisième film d’un jeune cinéaste canadien d’origine indienne, Amal, tourné en 2007 à New Delhi… La salle est quasiment pleine lorsque le film commence : une belle récompense pour l’initiatrice de ce Festival de films indiens – presque exclusivement consacré au cinéma d’auteur –, Selvaggia Velo, qui depuis huit ans déjà, milite activement pour la reconnaissance de ce cinéma quasiment inconnu en Europe. Une initiative rarissime, que l’on aimerait voir se développer.
Comment se porte le cinéma d’auteur indien ? Cette question est à double tranchant pour parler du Festival de films de Florence, car une bonne partie des meilleures œuvres présentées ne sont pas réellement indiennes, mais simplement tournées en Inde. Ainsi, le documentaire qui remporta le prix – attribué par le public – a‑t-il été réalisé par un Britannique : il s’agit de Super 30, film exemplaire, montrant une classe de petits génies de la science, tous issus des classes (castes) les plus pauvres de la société indienne, préparant le concours d’entrée aux prestigieuses IIT (Indian Institute of Technology), équivalents de Polytechnique. Le documentaire montre avec intelligence le rare dévouement de l’homme qui a créé cette classe (où l’on est nourri, logé et blanchi) pour permettre à de jeunes gens de changer de statut quand leur naissance ne leur présageait qu’un avenir de fermier ou d’ouvrier. La méritocratie à l’indienne, aussi précieuse qu’elle est rare… Mention spéciale également au documentaire Dabbawala, the Lunchbox Miracle, qui met en lumière l’extraordinaire travail des 5000 « Dabbawala » qui chaque jour apportent leur déjeuner à plus de 200~000 employés à Bombay et pour ce faire, ont organisé un système d’une incroyable ingéniosité. Regrettons néanmoins que la plupart des documentaires continuent à se faire le relais d’une Inde engoncée dans son statut de pays du Tiers-monde. Sans nier la pauvreté absolue qui y règne, il serait intéressant d’apporter un éclairage sur la nouvelle classe moyenne, ou la jeunesse urbaine éduquée qui permet à l’Inde d’être l’un des pays les plus dynamiques du monde.
Des longs métrages présentés lors du Festival, on retiendra surtout Amal (également victorieux du Prix) de Richie Mehta, jolie conte de fées moderne sur un chauffeur d’auto-rickshaw modeste et scrupuleux, qui refuse la fortune d’un milliardaire pour ne pas être en retard au rendez-vous avec sa belle ; ou Bioscope de Madhusudhanan, réalisateur kéralais, sur les débuts du cinéma en Inde et plus particulièrement son arrivée dans les campagnes : parfois trop aride, le film redonne néanmoins espoir dans les capacités du cinéma d’auteur indien à imposer son univers cinématographique très personnel, souvent basé sur des effets contemplatifs et une rythmique très lente. Il est également permis de croire que ce genre de films, financés par l’État indien (par le biais de la NFDC, équivalent du CNC) finiront par percer sur le marché européen dans quelques années. Nous n’avons hélas pas pu voir Mumbai Meri Jaan, film choral qui revenait sur les tragiques attentats dans les trains de banlieue à Bombay, en 2006, et qui trouve forcément en ces temps troublés pour l’Inde un écho particulier…
Grosse déception en revanche pour le reste des longs métrages, qui pêchent par un travers classique du cinéma indien : le simplisme mélodramatique, qui permet d’aborder les sujets les plus complexes avec une audace déroutante mais assez agaçante. Témoin Khuda Kay Liye, premier film pakistanais à être sorti en Inde depuis la Partition de 1947, qui se charge de régler en deux heures tapantes le problème des mariages arrangés, l’extrémisme jihadiste et les tortures américaines consécutives aux attentats du 11-Septembre. Tout un programme ! Quant à Quick Gun Muragan, affreuse parodie de western d’une vulgarité et d’une bêtise sans nom venue du Tamil Nadu, il n’avait pas à notre avis, place dans ce Festival qui se distingue pourtant souvent par la rigueur de ses choix. Énorme bémol également pour le documentaire prétentieux The Journalist and the Jihadi, sur l’assassinat du journaliste américain Daniel Pearl (encore!), qui se discrédite rapidement par des interviews de notre BHL national, auteur du scandaleux ouvrage La Mort de Daniel Pearl, mais surtout par un style à la limite de l’indécence et du racolage.
« River to River », ce n’est pas seulement la découverte de longs métrages et de documentaires récents, mais aussi des rétrospectives, cette année dédiées à Raj Kapoor, le Chaplin indien, génial cinéaste/acteur qui transformait les vagabonds (Awara, 1953) et les escrocs (Shree 420) en héros au grand cœur. Le Festival présentait également des films réalisés par les élèves diplômés du prestigieux Film and Television Institute of India, qui en d’autres temps, vit sortir de ses rangs les cinéastes les plus intéressants du Nouveau Cinéma indien des années 1970. Souhaitons donc bon vent à « River to River », en espérant l’année prochaine y découvrir un cinéma d’auteur indien peut-être plus en forme et surtout, en route pour un véritable succès dans nos contrées.