ImpaKt, observatoire privilégié de la création actuelle et émergente présentait à l’Institut National d’Histoire de l’Art en ce jeudi de manifestation sociale le premier documentaire d’Angélique Bosio, Llik Your Idols, pour inaugurer sa programmation de 2009 intitulée « Violences critiques ». Le jour était propice pour revenir sur le travail de ces artistes contestataires new-yorkais des années 1980, initiateurs de ce qui fut théorisé comme le cinéma de la transgression par le réalisateur de films underground Nick Zedd.
Dans la lignée du courant musical New Wave, ces jeunes créateurs pluridisciplinaires s’insurgent contre la politique de Reagan et le cinéma formaliste. Ils renversent les codes établis, transgressent les règles en mettant en scène dans leurs films de véritables déchaînements de violence, de drogue et de sexe. Le titre de ce documentaire est assez évocateur. Llik Your Idols est l’anagramme de kill your idols, le fameux slogan que l’on retrouvait sur les tee-shirts représentant le Christ ou plus tard Kurt Cobain, portés par les jeunes adolescents rebelles. Lick c’est aussi lécher ou faire de la lèche en français, explique également la réalisatrice amusée.
Réaliser un tel document semble être avant tout pour l’auteur une façon de rendre hommage à ces artistes qui furent ses propres idoles. On retrouve au fil de ce film les témoignages de certaines figures de ce courant artistique comme l’exubérante réalisatrice, chanteuse et performeuse Lydia Lunch, le photographe et réalisateur Richard Kern, les peintres David West et John Coleman, ou d’autres témoins comme Thurston Moore, le chanteur et guitariste du groupe Sonic Youth et l’historien Jack Sargent. Leurs récits sont émaillés d’extraits de films illustrant leur propos, de bribes d’archives. Tour à tour chacun revient sur son implication, son engagement, ses relations avec les autres. La réalisatrice insiste sur le fait qu’il ne s’agissait pas à proprement parler d’un mouvement. Dans une même vision artistique, ils s’entraidaient en collaborant à divers projets. Les réflexions de Jack Sargeant, auteur de Deathtripping the Cinema of Transgression permettent en contrepoint de prendre un certain recul et d’inscrire ces artistes dans leur contexte en évitant l’usage d’une voix-off qui aurait sans doute alourdi le propos.
Ce documentaire n’est pourtant pas seulement une collecte de témoignages même s’il reste formellement assez classique : les règles ici ne sont nullement transgressées. Seule sa durée de 69 minutes ne se conforme pas au format télévisuel. Les interviews frontales, en plan américain se déroulent la plupart du temps chez les personnes interrogées. Le décor en dit alors long sur chacun. L’excentrique Joe Coleman, la moustache hirsute, est assis à côté d’un énorme ours empaillé. L’intérieur plus minimaliste de Richard Kern semble également révéler quelque chose de la personnalité de ce dernier et de son évolution artistique. La sobriété des prises de vue sied donc parfaitement à ce film tant les personnages envahissent, débordent du cadre par leur singularité, par leur exubérance. La réalisatrice a su s’effacer derrière sa caméra numérique pour donner la parole aux protagonistes. On sent à travers ce film beaucoup de respect envers ses acteurs, qui se confient avec une grande sincérité. Le temps a sans doute contribué à tisser ce lien. Le tournage a en effet duré cinq ans. En filmant ces avant-gardistes trente ans plus tard, elle ne tombe pourtant jamais dans l’écueil de la nostalgie. Chacun a évolué à sa manière et dresse le constat de ces années passées tout en évoquant son présent et l’évolution de son travail artistique.
Ce documentaire rythmé, découpé en chapitres, retrouve cette même énergie créatrice pour nous conduire sur les traces de ces artistes, encore pour certains partiellement confidentiels et incompris, comme l’avoue Nick Zedd qui peine à faire produire ses films. Il incarne en quelque sorte la figure moderne de l’artiste maudit, incompris de ces contemporains. Et pourtant, ces précurseurs ont influencé toute une génération d’artistes comme par exemple Larry Clark, qui s’intéresse à la sexualité des jeunes adolescents à l’instar de Richard Kern, qui continue à photographier de jeunes filles aux poses provocatrices. Son esthétique a même été récupérée par la mode et notamment ce que l’on pourrait qualifier de « porno-chic ». La publicité à aujourd’hui pris l’habitude de faire transparaître des détails provocateurs, aussi minimes soient-ils. Le travail intimiste de la photographe Nan Goldin sur ses proches touchés par la drogue, la maladie et la violence s’inscrit également dans la continuité de ce courant. Ce film nous fait donc revivre avec justesse ces élans créateurs pour rendre hommage à ses pionniers de l’art contemporain. Paradoxalement, c’est aussi en traitant cette période que Jack Sargeant ou la réalisatrice la figent dans le temps et prononcent son acte de décès.