Le centre Wallonie-Bruxelles de Paris célèbre les cinquante ans des indépendances africaines en braquant la lumière sur le Congo. Du 15 au 20 mars, concerts, exposition, débats, spectacles et cinéma vont résonner dans un fabuleux cha cha cha. Des « Congophonies » pour témoigner de la vitalité du plus grand pays d’Afrique francophone et pour célébrer quarante ans de Francophonie. Focus sur l’enthousiasmante programmation cinématographique de l’événement.
Nous sommes à Bruxelles, le 25 janvier 1960. Patrice Lumumba, futur premier Premier ministre du Congo indépendant, assiste au sommet déterminant pour l’avenir de son pays. A ses côtés, le mythique jazz band « African Jazz ». Le Congo, qui s’est très tôt accaparé les rythmes de la rumba cubaine pour y adjoindre des influences africaines et antillaises, va se mettre à résonner de leur chanson Indépendance Cha Cha. C’est bientôt tout le continent africain qui reprend cette mélopée, comme un hymne politique des indépendances naissances. Patrice Lumumba sera assassiné un an plus tard. En 2002, la Belgique, ancienne puissance coloniale, reconnaît une responsabilité dans sa mort.
Cinquante ans plus tard, quel est l’« état des lieux » de l’Afrique indépendante ? Sur tout le continent et dans les anciens pays colonisateurs, les manifestations se multiplient. Il était naturel pour le Centre Wallonie-Bruxelles de prendre part à l’événement en plaçant les projecteurs sur le Congo, plus vaste pays d’Afrique francophone. Un voyage, à travers une douzaine de films, au cœur de ce cœur de l’Afrique, parmi ses habitants, modestes, désabusés, enthousiastes, vaillants, drôles, corrompus… La programmation de Congophonies Cha Cha dresse un panorama du Congo d’aujourd’hui.
Le pays Kinshasa
Elle a 15 ans. C’est « petite Maria ». Petite Maria qui se plie aux jeux pervers des grands, violée, prostituée. « Je me fais baiser pour pouvoir manger. » Parce que dans son village, à la mort de ses parents, elle et sa petite sœur ont été estampillées « sorcières », et qu’elles sont à présent toutes deux à la rue. Le court métrage que Louis Vogt Voka lui consacre est brut, rugueux, âpre ; le visage magnifique de Maria s’en détache. Un visage de statue d’ébène, filmé de près en livrant son quotidien, la nuit, dans les lumières de Kinshasa. « Ils m’ont tabassée à tel point que je me suis habituée », dit Maria, alors que résonne Le Bonheur de Lokua Kanza. Onze minutes de vidéo qui donnent à voir une capitale tentaculaire dont les enfants arpentent les rues.
Petite Maria est programmé avec cinq autres courts-métrages de jeunes cinéastes kinois, réalisés en avril 2008 au sein d’un atelier documentaire pour le centre international de formation audiovisuelle et de production (CIFAP). À noter, à l’heure où rares sont les États africains à accompagner la production cinématographique, la collaboration pour cet atelier de l’Institut congolais de l’audiovisuel (ICA) et de la Radio Télévision Nationale Congolaise (RTNC). À côté de Maria, il y a La Maraîchère de nuit, elle qui arpente aussi la nuit, l’aube, le marché des sorciers. Elle y vend ses fruits et légumes, parce qu’elle ne peut pas payer les taxes, le jour. Michée Sunzu la suit dans sa campagne lointaine, comme le paradoxe d’une vie dans un lieu apaisé qu’elle doit quitter pour la ville et les allées poussiéreuses de son marché des sorciers. Un portrait de femme qui fait écho au court-métrage de Jules Koyagile Nzokoli, Malgré moi, très joli portrait d’un vieil homme devenu marchant ambulant pour une société indienne pour subvenir aux besoins de sa famille.
Il y a aussi le merveilleux conteur de Kusoma – Lire, que Didier Lissa filme au milieu des herbes hautes comme un personnage de l’oralité autant que de la modernité. Puis vient Papa Buna et son cortège d’enfants des rues recueillis dans un foyer-école coranique. Arsène Kamango le filme comme pour un reportage journalistique, questionnant l’immigré malien sur ses motivations, vérifiant celles des gamins qui veulent devenir « de bons musulmans » et des jeunes filles converties qui ont adopté le foulard.
Pour couronner cette sélection de courts, il y a, enfin, la pétulante Hélène, héroïne du Rallye d’Hélène, féministe avant l’heure avec son métier de receveuse de taxi-brousse. Chouna Mangondo filme les débats qui s’élèvent dans le taxi avec un plaisir non dissimulé. Pleine d’humour, Hélène lance à la cantonade un « vous voulez la parité non ? » qui sonne un peu différemment lorsqu’on apprend que le chauffeur n’est autre que son jaloux de mari ! La trajectoire d’un couple qui, jamais l’un sans l’autre, fait doucement évoluer les mentalités et force l’admiration des voyageurs.
Six films, six quarts d’heure pour tracer le portrait d’une ville qui avance malgré les obstacles, royaume de la débrouille et où fleurissent les initiatives, les élans de vie.
De Kinshasa à Matonge, via le Katanga
Face à ces jeunes cinéastes, le centre Wallonie-Bruxelles invite un autre fameux réalisateur kinois, Balufu Bakupa-Kanyinda, chargé dans son pays des activités cinéma accompagnant l’anniversaire de l’indépendance. L’auteur de Juju Factory (2005), magnifique métaphore de la création, ode au quartier africain bruxellois de Matonge, réminiscences de l’exil et des illusions post-indépendance, viendra rencontrer le public autour de trois de ses courts métrages, évoquant tour à tour la corruption (Article 15 bis), les régimes politiques africains (Le Damier) et l’alunissage d’Apollo 11 suivi du Congo, ce 21 juillet 1969 (Nous aussi avons marché sur la Lune).
Trois longs-métrages documentaires ouvriront et cloront le cycle cinématographique de ces Congophonies. En une grosse heure, L’Or noyé de Kamituga, de Colette Braeckman et Yvon Lammens, retrace l’histoire du Katanga, région minière la plus riche du Congo, objet de toutes les convoitises. Colette Braeckman, journaliste au quotidien belge Le Soir, compatriote de Thierry Michel, qui expose au centre Wallonie-Bruxelles ses photos prises au Katanga, raconte en vidéo, dans une version inédite en France, comment mourir de faim sur une mine d’or. Tout le paradoxe du Congo et d’une grande partie de l’Afrique. A la colonisation a succédé la mondialisation, source de nouveaux conflits pour les terres et les richesses souterraines. D’une histoire l’autre, les réalisateurs plongent leur caméra dans une seule ville qui devient métaphore de tout un pays, voire de tout un continent.
D’une histoire l’autre, mais aussi d’un pays, d’un continent l’autre. Exils, migrations, sources de précarisation pour nombre d’Africains, mais aussi sources de richesse, de mutations culturelles, d’heureux mélanges. C’est un peu l’histoire des ZAP MAMA, réjouissant groupe de chanteuses connues pour leurs envolées a cappella, entre deux métissages, à l’image de Marie Daulne, que Violaine de Villers suit dans Mizike Mama. Mêlant rythmes congolais des pygmées Ba-Banzélé et Mangbetu aux rythmes du jazz, de la rumba cubaine, du gospel, les ZAP MAMA sont à l’image d’un échange afro-européen renouvelé, apaisé. Ou comment tirer le meilleur parti des deux continents dans une recette drôle et touchante.
Comment clore autrement ce cycle de cinéma que par l’histoire de la chanson même qui deviendra comme l’hymne des indépendances africaines, Indépendance Cha Cha ? En retraçant l’histoire de cette chanson dans le Congo actuel, Jean-François Bastin et Isabelle Christiaens reviennent sur les histoires individuelles de ceux qui ont vécu les indépendances. Des histoires d’espoirs pour un film bilan en forme de réquisitoire, pour que se lève le soleil des indépendances.