Le polar, ce n’est pas du cinéma de lavette : c’est pour les hommes, les vrais, et tant qu’à faire, c’est mieux quand c’est eux qui le font. La formule nous rappelle les débuts d’Olivier Marchal, son passé à la P.J., sa carrière naissante de cinéaste, sa figure de vieux de la vieille, mal rasé, éculé, comme un personnage de sa propre mythologie. Il incarnait le flic authentique, projeté dans le cinéma, comme une promesse autobiographique, et s’est finalement contenté de servir une plus ou moins banale soumission au genre. Entre les raisons qui l’ont poussé à quitter ses fonctions de gardien de la paix (la peur, tout simplement, selon ses propres dires), et la grossière virilité des personnages de ses films, un fossé s’étend. Fossé qui laisse planer un certain doute sur les raisons profondes de son emploi du cinéma.
Cette parenthèse sur la carrière d’Olivier Marchal semble un peu de l’ordre de l’égarement, nous direz-vous. C’est pourtant à la lumière de ses tenants et aboutissants qu’on peut s’amuser à examiner, après quelques années de notoriété grandissante, l’accès de Frank Henry à la carrure suprême de réalisateur. Revers de médaille du précédent, Henry est un « ancien gangster ». Globalement, on reste sur la même faim : celle de voir surgir à l’écran une expérience intime du milieu. En guise de compensation, la même assiette également : une sorte de connivence bonhomme entre les deux reflets de la profession, un monde qui ne se partage pas tant entre les voyous et ceux qui les attrapent, mais entre les vieux loups et les jeunes coqs. Les proies se mélangent aux prédateurs, dans une bouillie uniforme. Frank Henry ne fait pas trop l’apologie du milieu criminel, cependant il n’oublie pas de parsemer son film de quelques scénettes bien là pour montrer qu’ils ne sont pas des anges, mais qu’au fond, ce n’est pas leur faute, et que surtout, ils en ont dans le bide. Il n’y a rien de vraiment malhonnête à faire du bon produit de genre basique, bien qu’il n’y ait rien de très intéressant à y faire non plus : non, ce qui est dommageable à Frank Henry, c’est qu’il arrive avec un statut de quasi-documentariste. Il a vu de ses yeux le monde de la pègre, il le connaît comme sa poche… et soudain, voilà qu’il a l’air de l’avoir découvert au cinéma, comme nous. Pourquoi ?
Difficile à dire sans s’engager dans un terrain très accidenté, où il nous faudrait, entre autres, psychanalyser le cinéaste. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que Henry débarque avec ses gros sabots, et que son De force est un nanar en bonne et due forme qui, une fois un peu daté, fera la joie des internautes qui s’amusent à célébrer le sous-genre. Les comédiens, qui, selon l’avis de chacun, selon les films, se situent habituellement entre le correct et le talentueux (Isabelle Adjani, Simon Abkarian, Anne Consigny…), sont si maladroitement dirigés qu’ils livrent tous une performance à peu près catastrophique – à titre d’exemple, le gang des malfaiteurs, visiblement imaginé par un enfant de sept ans. Au milieu, Cantona laisse encore planer un certain doute sur son emploi en tant qu’acteur : d’abord apparition épisodique dans le cinéma, après deux ou trois coups de poker du type Le bonheur est dans le pré ou Looking for Eric, l’ancien footballeur semble vouloir se sédentariser. Les exigences ne sont du coup plus les mêmes, et il doit apprendre à se fondre dans le décor. Ce n’est pas encore ça. Frank Henry est, paraît-il, déjà en train d’écrire son prochain film, une comédie cette fois. « Cette fois ? »