À peine trois ans après sa Palme d’or à Cannes pour Le vent se lève, revoilà Ken Loach sur la Croisette avec un film tout aussi consensuel. Mais là où la chronique irlandaise ressassait les thèmes du réalisateur avec du pathos à l’envi (ce qui en faisait une excellente « palme pour la carrière », et une plus contestable palme d’or…), le dernier film du réalisateur donne dans la pure comédie. Retournement de veste ou manœuvre plus subtile ? La vision du film fait pencher pour la seconde solution, avec un renouvellement total du style du réalisateur – mais pas de ses combats.
Eric Bishop croule sous les malheurs : beau-père solitaire et dépassé de deux jeunes garçons en pleine crise d’adolescence, il approche la retraite, et reste rongé par ses échecs sentimentaux. Au moment de perdre pied, il se voit visiter par rien moins qu’Éric Cantona, son héros personnel, qui lui offre sagesse et conseils dans de ronflants aphorismes. Pourvu d’un peu de soutien, le vieil homme tente de reprendre le contrôle de sa vie.
Ken Loach à la comédie, c’est un peu comme Judd Apatow aux commandes d’un film-fleuve contemplatif de sept heures trente sur la vie au sein d’une communauté tibétaine coupée du monde – c’est peu probable. Surtout un Ken Loach flanqué de son inévitable scénariste Paul Laverty, l’homme derrière de nombreux films du réalisateur – y compris derrière son contesté Vent se lève. Avec cet inattendu Looking for Eric, les deux compères prouvent avec finesse leur capacité à sortir des ornières que la carrière du réalisateur avait creusé pour eux. Car que l’on ne s’y trompe pas : les thèmes chers à Loach sont bien là. La grande astuce de Loach et Laverty est d’annoncer ces valeurs de façon frontale, souvent via les pensées profondes et passablement gonflantes d’un Cantona bien conscient de cela : mais, qui l’eût cru, à la fois le footballeur, le cinéaste et le scénariste s’avèrent capables de rire de leurs défauts.
Cela diminue t‑il pour cela l’efficacité du discours de Loach ? Looking for Eric peut-il fonctionner pour qui ne connaît pas la filmographie du réalisateur ? À la première question, Loach répond en se faisant, de polémiste, chansonnier. L’ironie et une véritable capacité à l’auto-dérision imprègne tout Looking for Eric – sans que cela soit, espérons-le du moins, un aveu d’échec. On serait même tenté de croire que le réalisateur fait ici montre d’une capacité à renouveler intégralement son style – ce qui répond à la seconde question par l’affirmative, oui Looking for Eric existe par lui-même, et pas seulement en tant que miroir du reste de la carrière de Loach.
Comme les protagonistes de son émouvant Which Side Are You on ?, Loach a choisi la dérision pour livrer son nouveau combat. Mais est-ce aussi véritablement drolatique ? Eric Bishop ne choisit-il pas, finalement, une folie aussi réelle que celle de la Janice de Family Life pour s’en sortir ? Son ange gardien footballeur ne lui apparaît finalement que lorsqu’il se sature les sens, de drogue ou d’alcool. Cantona comme symbole de la puissance des rêves et des idéaux du petit peuple : il fallait oser. Mais s’il tourne le dos à sa forme habituelle, s’il s’éloigne un peu de la force de ses revendications, Loach reste fondamentalement engagé, car l’Eric Bishop qui croit en Cantona comme on croit en Dieu est un des personnages les plus humains, les plus crédibles, qu’il nous ait été donné de voir depuis longtemps.