Il est bien loin, le temps où Laetitia Casta jouait les utilités dans Astérix et Obélix, premier du nom. À l’affiche de Derrière les murs, elle aborde un genre auquel, a priori, on l’aurait assez peu associée : l’horreur psychologique. Œuvrer dans ce genre qui n’a jamais véritablement pris racine en France, avec en plus la prétention de s’attaquer à Lovecraft et Poe, le tout… en 3D : décidément, les réalisateurs Julien Lacombe et Pascal Sid n’ont pas choisi la facilité. Et, heureuse surprise, leur contribution au genre fantastique est élégante, inattendue, subtile, pertinente et parfois… terrifiante.
C’est au détour d’un plan que les ombres ténébreuses de Lovecraft et de Poe s’invitent Derrière les murs : pour les connaisseurs, le titre du film évoque, évidemment, la nouvelle Les Rats dans les murs, de Lovecraft donc, où la folie guette le narrateur, au sein même des murs retrouvés de l’antique demeure familiale. L’argument de Derrière les murs est similaire : dans la France des années 1930, Suzanne, auteur de romans à succès et phénomène de société, vient se ressourcer dans la maison de famille de son éditeur, suite au décès de sa petite fille. Bien vite, la logique déserte la vie de la jeune femme, seule dans la grande maison isolée : de cave oubliée en puits sans fond, de hordes bruissantes de rats en spectres inquiétants, la fantasmagorie prend pied dans le quotidien de celle qui, secrètement, ne parvient pas à se relever de la mort de son enfant. Mais, lorsque le voisinage commence à voir disparaître les petites filles des autochtones, Suzanne s’interroge sur la réalité de ses hallucinations, et les habitants locaux sur combien de temps ils vont tolérer « la Parisienne »…
Que se passe-t-il donc, réellement, dans la maison où habite Suzanne ? Est-elle folle, est-elle la cible des intentions insondables de créatures datant de bien avant même les dolmens qu’on aperçoit, ici et là, dans la campagne ? Est-elle hantée, oppressée par l’hostilité manifeste des autochtones, refuse-t-elle « simplement » de laisser le passé mourir ? Derrière les murs s’attarde dans les chemins de traverse, prend plaisir à parcourir des chemins narratifs dans lesquels on ne l’attend pas – quitte à laisser inachevée l’une ou l’autre question, l’une ou l’autre piste. Si on aperçoit, furtivement, sur une page jetée au bas du bureau où écrit Suzanne, les mots « Cthulhu f’taghn », phrase sortie tout droit de Lovecraft, c’est par ces chemins détournés que Julien Lacombe et Pascal Sid parviennent à amener à l’écran ce qui fait le sel de nombre de nouvelles de l’écrivain de Baltimore, par l’omniprésent sentiment de menace, d’incompréhensible malveillance sur laquelle viennent se greffer, minuscules, les obsessions et les terreurs humaines.
Quant à Edgar Poe, on comprend bien vite qu’il en va de la maison où habite Suzanne comme du manoir de La Chute de la maison Usher. Ainsi, c’est en découvrant une cave murée, sombre et lourde de menaces et de créatures rôdant à la lisière de l’imagination que Suzanne va vaincre son syndrome de la page blanche… Quitte à déverser sur le papier les pires horreurs, elle qui, jusqu’à maintenant, donnait dans le roman sentimental. Pour Suzanne comme pour Roderick Usher, les recoins les plus sombres de la maison équivalent à ceux de l’esprit, le délabrement de la bâtisse, à celui de la raison…
En ne citant pas frontalement ses références horrifiques, Derrière les murs permet de se focaliser sur son récit propre, un conte oscillant entre une partie diurne en apparence parfaite et des nuits de cauchemar. Le jour, la mise en scène des deux réalisateurs s’applique à dépeindre l’arrivée de « la Parisienne » dans une communauté à la malveillance atavique. La photographie léchée dessine un village de carte postale, où Laetitia Casta prend des airs de poupée de porcelaine – jusqu’à ce que… La nuit venue, le chapeau emprisonnant ses cheveux les laissant retomber, l’actrice plonge dans sa cave-inconscient, toujours plus animale à mesure qu’avance le film. Le jeu sur les ombres et la lumière aux couleurs pastels plonge l’image dans un onirisme subtil, qui prend toujours soin de faire le lien avec le jour si parfait.
Les séquences diurnes ne laissent pas d’inquiéter : pour quelles raisons les deux réalisateurs ont-ils désiré sacrifier à une 3D qui, jusqu’à maintenant et à quelques rares exceptions près, tenait du plus pur gadget ? Et si ces séquences ne manquent pas de profondeurs – dans lesquelles on sent se mouvoir les tensions larvées –, c’est la nuit que la 3D prend tout son sens. À mesure que l’oppression pèse toujours plus sur les épaules de Suzanne, les visions fantomatiques se multiplient – mieux encore, en plaçant dès le départ le spectateur dans une position inquiète, Derrière les murs guide le regard vers la profondeur du champ. Bientôt, on se surprend, non plus à rechercher ce qui se cache derrière la porte que vient de passer Suzanne, mais bien à regarder… derrière sa propre épaule.
Cela tombe sous le sens. De multiples projets en 3D s’obstinent à projeter l’écran dans la salle, avec de honteux effets de fête foraine : Jack Sparrow se balance-t-il à la cime d’un cocotier, Sam Worthington pleure-t-il un frère perdu au début d’Avatar, que nous voilà avec, à quelques centimètres du nez, une botte de cuir usé, une larme en apesanteur. Merveilleux. Mais la 3D de Derrière les murs adopte l’idée inverse : il s’agit d’amener le spectateur dans le film, l’entourer, doucement, le mener dans les sombres voies fantasmagoriques du chemin qu’emprunte Suzanne. C’est remarquablement pertinent, et très réussi.
Sans esbroufe, avec humilité et méticulosité, Derrière les murs est un film modeste, paradoxalement capable de justifier sa 3D – qui aurait pu être prétexte à tous les débordements – par un récit introspectif, atmosphérique, sans compromis, et qui se joue à merveille des écueils sur son chemin.