La naissance du désir adolescent, sujet vastement étudié par le cinéma, est souvent le fait de jeunes filles – plus que de jeunes garçons. Une tendance à laquelle ne coupe pas It Felt Like Love, premier film présenté à Sundance début 2013. Par l’intermédiaire de sa protagoniste, jeune fille oisive brûlant plus du désir de perdre sa virginité que d’un désir véritable pour un autre, la réalisatrice Eliza Hittman filme avec une grande subtilité le désarroi de l’adolescente.
L’été à Brooklyn. La jeune Lila passe son temps à la plage avec sa copine Chiara et son petit ami, à tenir purement et simplement la chandelle. Surtout, elle s’invente les aventures amoureuses et sexuelles qui la font rêver. Parallèlement à ce quotidien, morose mais tranquille, elle se met en chasse de Sammy dès lors qu’elle entend dire que le jeune homme « baise tout ce qui bouge » : intéressée, Lila espère enfin franchir le cap et n’être plus une éternelle spectatrice des aventures des autres.
Cette simple histoire n’aurait sans doute rien d’intéressant si elle n’était pas portée par un habile écart : celui qui sépare le désir dévorant et radical de la jeune fille (y passer coûte que coûte, et avec n’importe qui) et le silence qui dirige son comportement. On est loin, sur un sujet similaire, du récent Clip. It Felt Like Love prend l’outrance des images à l’envers, faisant sentir le feu du désir dans une économie de paroles et de gestes. Ici, le désir s’insinue dans le désœuvrement estival. La sensibilité du propos se joue des silences de Lila, qui ne parle que pour mentir sur ses aventures imaginaires ou pour amadouer Sammy, sous de faux airs innocents. Le scénario jongle avec la violence de son désir et ses avances pathétiques de jeune fille perdue.
Avec un relatif conformisme – celui, désormais répandu, du cinéma indépendant américain, qui filme la vie s’écouler langoureusement et les personnages y circuler entre indolence et doute – Eliza Hittman rappelle toutefois le plus beau film d’Elia Kazan : La Fièvre dans le sang. Elle le rappelle en creux car les temps ont changé et, au puritanisme hypocrite près de sombrer dans la Grande Dépression, répond une injonction à jouir face à laquelle cette vraie jeune fille se trouve désemparée. Le trouble, lui, est le même – et c’est en cela que ces deux films se répondent à cinquante ans d’écart. Le désir ici, vidé de toute sensualité, vidé de toute passion, devient le désir d’un cap à passer – étape obligatoire pour se conformer, être grâce au sexe enfin comme tout le monde.
Moins que par sa mise en scène, c’est donc dans son thème et son fil narratif qu’It Felt Like Love trouve toute sa force, renversant les enjeux qui étaient ceux du couple filmé par Elia Kazan. Devant cet inconnu qu’elle veut découvrir, la jeune protagoniste fait autant preuve d’un fort caractère que d’une profonde naïveté. C’est grâce à cette rupture qu’Eliza Hittman donne parfaitement forme au désarroi de l’adolescente, qui croit comme le monde le lui a tant répété qu’il lui suffirait de se donner à un homme pour se sentir mieux. Avec subtilité, la réalisatrice montre la douleur de cette ignorance, incarnant dans son personnage cette nouvelle hypocrisie contemporaine, qui supplante la précédente : faisant du sexe une consommation comme une autre, donnant à l’amour liquide les contours de l’amour même – une distinction que la jeune fille ne sait plus faire. Partant d’une sensation erronée, la réalisatrice dresse le portrait touchant d’une jeune fille : vulnérable, commune, émouvante.