Cette histoire familiale entre une grand-mère muette et son petit-fils capricieux est un antidote à la morosité citadine, aux coups de blues intempestifs. Fruit d’un long travail de réflexion, Jiburo semble être un pont lancé par la réalisatrice entre deux générations que la vive allure du Progrès sépare de plus en plus.
La mère du petit Sang-woo, abandonnée par son mari, demande à la vieille grand-mère de veiller sur son petit-fils de huit ans le temps qu’elle trouve du travail à Séoul. Mais vivre avec cette dame âgée qu’il n’a jamais vue, édentée et muette, n’éveille aucun intérêt pour le petit urbain. Le rapprochement filial n’est pas gagné pour la mamie solitaire. Pour se représenter le personnage (réel), il suffit de se souvenir de la transformation en grand-mère de la petite Sophie du Château ambulant de Hayao Miyazaki. Mains déformées par la vie à la campagne, visage aux traits marqués par le temps, dos si voûté que la bonne femme ressemble à une gentille tortue, la mamie n’inspire pas d’attraits pour Sang-woo. La lenteur de sa grand-mère et son silence forcé irritent au plus haut point le jeune garçon si bien qu’il la traite méchamment de « demeurée ». Fougueux, irritable, égoïste, il a tout du petit citadin qui ne connaît rien d’autre que les jeux vidéo et hamburgers industriels. Les repas que sa grand-mère prépare minutieusement produisent de grosses colères et des trépignements insatisfaits chez son petit-fils qui préfère les boîtes de conserve ou les surgelés. Parce qu’elle croit comprendre, avec les gestes que Sang-woo lui fait pour décrire un coq, que le repas préféré de son petit-fils est le poulet (alors qu’il s’agit en fait du « chicken nugget » coréen), elle lui ramène une volaille à déplumer. Cette scène illustrative de l’écart générationnel provoque le sourire du spectateur mais cris et larmes de Sang-woo. Tout au long du film, beaucoup d’occasions de corriger vertement ce petit diablotin sont données à la mamie. Celle-ci, pour qui point n’est besoin de parler pour montrer son amour à son petit-fils, remplace les gifles tant méritées par la patience et l’attention.
Histoire d’une rencontre générationnelle, transmission des valeurs familiales, partage d’un amour inconsidéré entre une grand-mère et son petit-fils, tels sont les thèmes qu’aborde ce film plein de fraîcheur et d’humour. Le ton de cette histoire épouse le regard amusé, moqueur mais bienveillant de la réalisatrice sur le capricieux Sang-woo. Fil rouge de l’histoire, le garçon tyrannise sa grand-mère pour qu’elle lui achète des piles pour sa console de jeux vidéo. Mais mamie n’a aucun sou en poche, elle vit d’une terre nourricière et d’une maigre vente de légumes au village. À la recherche de ces fameuses piles, de déceptions en crises de larmes, le garçon va progressivement apprendre le partage, l’écoute de l’autre et l’affection, valeurs que sa mère, en mal d’amour, n’a pas su lui inculquer. C’est au contact des enfants du village mais aussi des personnes âgées que Sang-woo apprendra l’authenticité des rapports humains, le plaisir des petites choses simples de la vie et aussi, la joie des amours enfantines. Tous les personnages de ce film font preuve d’une incroyable capacité à donner sans compter. De la mamie « choco-pie » qui ne veut pas faire payer la grand-mère pour ces gâteaux au chocolat, en passant par le vieillard qui ramène amicalement Sang-woo sur sa bicyclette, les personnes âgées sont à l’honneur. Sans alourdir le film d’une réflexion théorique sur la vieillesse, la réalisatrice nous rappelle, s’il en est encore temps, « l’urgence » à partager avec ses grands-parents, car le temps passe si vite… Morale simple mais non simpliste.
La mise en scène, les personnages, les décors de la campagne de Séoul, tout est présenté de manière fraîche et légère dans Jiburo. D’aucuns penseront que la simplicité de cette peinture véhicule quelques longueurs. Pourtant, chaque scène épouse nécessairement le rythme lent de la vie à la campagne et chacune est aussi représentative des étapes que Sang-woo traverse pour comprendre et aimer sa mamie muette. La lenteur de ce film sert donc le réalisme de l’histoire : inévitablement, la route de l’apprentissage du respect et de l’écoute de l’autre est longue pour le gamin cabotin. Voilà un film qui ne professe pas, mais qui propose à chacun de recevoir le degré d’humanité et de tendresse qu’il véhicule intelligemment. Le spectateur chemine alors doucement avec Sang-woo, dans ses caprices et sa rage envers sa grand-mère, vers le bonheur d’un partage filial. Un film aux vertus éducatives en quelque sorte.