Le temps d’un été, il s’en passe des choses dans les têtes et les corps des jeunes gens − même les prépubères s’y mettent. Le Dernier Été de la Boyita adopte un point de vue original et plutôt audacieux sur la question des identités sexuelles, à propos de laquelle Julia Solomonoff pose un regard d’une évidente sincérité.
La Boyita, c’est une petite caravane en forme de boîte, au fond du jardin d’une maison dont on déménage. La Boyita, on ne la verra pas énormément puisqu’on ne s’y trouvera pas beaucoup durant le film. Son dernier été, ce fut déjà un peu celui d’avant. Mais cet été en l’occurrence, les parents se séparent. Et les cloisons de ce vase clos dédié au jeu et à l’innocence enfantine vont définitivement tomber ; de nouvelles questions vont surgir, quelque chose comme la troublante et déstabilisante entrée dans une nouvelle étape de l’existence. Luciana et Jorgelina, les deux sœurs, ne partagent plus les mêmes amusements, ne jouent plus dans la même cour. La première présente les attributs et intérêts de l’adolescence, et il n’est plus question de trimballer une petite sœur devenue boulet, qui ferait par exemple fuir des gars qui deviennent de plus en plus intéressants. Et d’ailleurs, pour finaliser le tout, les deux sœurs ne vont plus cohabiter dans le même espace. Luciana reste avec sa mère dans cette périphérie d’une grande métropole dont on aperçoit la skyline de l’autre côté du fleuve, alors que Jorgelina part se mettre au vert avec son père, dans la Pampa, chez les gauchos.
Le sujet du film est tout à fait limpide, il s’agit du trouble de la découverte des identités sexuelles, à un moment, comme disait l’autre, où le corps change. En revanche, ce sont plusieurs corps qui peuplent le métrage. Au début, on pourrait tout à fait croire que le film va se focaliser sur la jolie Luciana : premières règles, seins qui poussent (peu), les garçons… Mais, on le sait, Le Dernier Été de la Boyita se délocalise ensuite, et il s’agit ensuite d’un corps masculin du même âge que Luciana. À savoir Mario, sorte de version adolescente du cow-boy taiseux et viril de l’hémisphère Sud, cavalier intrépide aussi rapide que le vent des vastes plaines argentines. Sur Luciana et Mario, il y a le regard de Jorgelina, point de vue prépubère d’un corps encore stable qui ne manque pas pourtant d’être perturbé par les mutations dont elle est témoin. Elle va jusqu’à fourrer son nez dans les encyclopédies médicales de son père pour essayer d’y voir plus clair.
Comme le glissement du regard de Jorgelina du corps de sa sœur vers celui de Mario, le film se déplace peu à peu du trouble des mutations à la souffrance de ces changements. Sur le jeune gaucho, les signes sont d’abord perceptibles comme des stigmates. Ce bandage sur le torse de Mario, puis ses saignements répétés à l’entrejambe semblent représenter la contrainte de sa condition sur le corps de ce fils de paysan, une sorte de fatalité sociale pour celui qui est destiné à devenir, quoi qu’il en coûte, un cavalier téméraire. Mais on se laisse surprendre par le tour que prennent ces signes lorsque le film bascule du côté du XXY de Lucía Puenzo, cinéaste également argentine soit dit en passant. Sans quitter une dimension sociale, notamment le poids du regard − de ses parents, de la communauté −, le dernier tiers du film s’aventure sur le terrain du questionnement de la norme, et du drame d’être différent, à cet âge qui plus est. On peut regretter à ce sujet que Julia Solomonoff filme parfois d’un peu haut, du point de vue d’une élite sociale éduquée et tolérante. Même s’il faut préciser que Jorgelina, par le biais de laquelle le récit nous est dévoilé, ne constitue pas une instance de jugement.
Le Dernier Été de la Boyita profite d’une mise en scène assez enlevée qui, à défaut de présenter une réelle originalité, dégage une spontanéité certaine, ce qui l’ouvre à la captation de ces corps en faisant la part belle aux gros plans joliment photographiés, à des cadres vibrants et à un montage parfois vif. De même, la réalisatrice n’y va souvent pas par quatre chemins en adoptant un regard sensuel sur ces corps jeunes, tournant le dos à l’idée d’en faire des enveloppes neutralisées et asexuées. Ceci est souvent montré avec justesse et sensibilité, d’une manière particulièrement touchante lorsqu’il s’agit de Jorgelina, qui, du haut de ses huit ou neuf ans, exprime emportements sentimentaux, désirs et séduction pataudes.