En adaptant son propre roman, gros succès aux États-Unis, Stephen Chbosky en reproduit les erreurs. Pire : il les envenime, faisant de l’histoire de son protagoniste un mélo formaté censé émouvoir tout un chacun en lui rappelant son adolescence. Parasité par une histoire d’amour kitsch et un anticonformisme poseur, Le Monde de Charlie n’exploite jamais ses rares moments de subtilité et se perd dans un pot-pourri artificiel.
Best-seller aux États-Unis, le roman The Perks of Being a Wallflower de Stephen Chbosky met en scène Charlie, un adolescent torturé, solitaire, sensible mais cool et intelligent : le prototype de l’ado. C’est le début du lycée. Son meilleur ami s’est suicidé et Charlie est seul au monde – bientôt accepté, toutefois, par une bande de seniors soudés avec lesquels il va passer l’année. Ce roman épistolaire (l’intrigue est racontée par Charlie, écrivant des lettres à un inconnu auquel il se confie) travaille scolairement le motif de la marginalité toujours associée, dans l’imaginaire collectif, à l’adolescence – son intrigue se conforme à l’image de la jeunesse telle qu’elle est marketée par le monde de l’entertainment. Convenu, jouant constamment sur les sentiments, le roman de Chbosky fait toutefois preuve d’une relative qualité narrative dans sa maîtrise du non-dit. Si on ne peut pas vraiment parler de subtilité, reste que la démarche attise une certaine curiosité.
En adaptant son propre roman à succès Stephen Chbosky, ancien étudiant en écriture cinématographique, transpose exactement à l’écran ses procédés littéraires. Ainsi la légère sensibilité du récit se retrouve, identique, dans Le Monde de Charlie : dans une série de silences, voire d’ellipses, qui tranchent avec la pesanteur que généralise le métrage. Cette relative subtilité est cela dit plus curieuse qu’affirmée et réussie, tant le reste du film érige les idiosyncrasies de l’adolescence en emblèmes de l’anticonformisme cool et vendeur. Ces silences apparaissent alors plus comme des faiblesses, des refus timides, que de véritables choix narratifs.
Quoi de plus logique que de recruter pour cela un casting à l’image de cette thématique : l’ami de Charlie est joué par un acteur rebelle en vogue, Ezra Miller, toutefois assez juste et réservé. Pour satisfaire tout le monde et pour le versant romantique de l’intrigue, on trouve aussi une actrice qui a la cote auprès des jeunes (Emma Watson), parfois entourée d’un filtre façon Instagram qui achève de ridiculiser son personnage.
Le Monde de Charlie, ainsi, n’est le monde de personne : à trop vouloir rappeler le roman, à trop vouloir jouer la carte de la sincérité comme de l’anticonformisme, Chbosky noie son intrigue sous un flot de références, de clins d’œil, de passages obligés censés satisfaire tout le monde – pour que chacun, semble nous dire chaque scène, retrouve à l’écran le souvenir de son adolescence. Le film n’en est donc qu’une image aseptisée ; traversée ponctuellement par de vagues indices d’élégance narrative. Ces légers et surprenants sursauts ne sont que des silences : ce sont les thèmes lourds de l’intrigue (suicide, viol, dépression) que le scénario contourne (ellipses, hors-champs). S’agit-il vraiment de subtilité – ou bien plutôt de dérobades pour éviter de se coller, enfin, aux taches de l’adolescence ? On sent que Le Monde de Charlie se place plus nettement dans la lignée de Juno ou Ghost World, banalisant et uniformisant l’anticonformisme, la souffrance cool, l’indépendance factice et formatée.