Juno, c’est le prototype parfait du petit film miracle que les gens adorent adorer pour sa success-story digne d’un David contre le Goliath des grosses productions à budgets faramineux. Un cinéaste quasi-novice (Jason Reitman, fils d’Ivan et déjà auteur d’un premier long remarqué, Thank You for Smoking), une scénariste à forte personnalité surgie de nulle part (Diablo Cody, ex-strip-teaseuse devenue, depuis le succès du film, nouvelle coqueluche d’Hollywood), un casting sans réelle star, porté par une très jeune actrice prometteuse, Ellen Page… Le succès de Little Miss Sunshine a ouvert la voie à toute une nouvelle génération de feel-good movies produits avec peu de moyens, en marge des studios, et donc plus amène à rendre compte de la vraie vie des vraies gens via des dialogues salés où la censure n’a pas droit de cité, des personnages présentés comme des outsiders sympathiques (ados complexés, homos plus ou moins mal dans leur peau, quadras stressés, trentenaires dépressifs…) et des situations rocambolesques propices au rire et à l’émotion. En début d’année, Waitress d’Adrienne Shelly surfait sur la vague, mais c’est Juno qui a décroché la timbale, en attendant l’année prochaine…
Elle s’appelle donc Juno MacGuff, cette ado américaine de 16 ans un peu grande gueule qui s’ennuie ferme dans sa petite ville paisible malgré un père aimant et une belle-mère qui l’a élevée comme sa propre fille. Quand Juno tombe enceinte de Bleek, un garçon du lycée un peu dadais mais sympathique, elle décide de poursuivre la grossesse à son terme pour ensuite confier l’enfant à un couple de parents adoptifs. En parcourant les petites annonces, elle tombe sur le couple idéal, Mark et Vanessa Loring. Les neuf mois qui suivent vont bouleverser les vies de tout ce petit monde.
Les spectateurs français, qui n’ont pas encore totalement oublié le combat mené par Simone Veil pour obtenir la légalisation de l’avortement en 1975, pourront faire grise mine devant une seconde comédie américaine « irrévérencieuse » (la deuxième en l’espace de six mois, après En cloque… mode d’emploi) où l’héroïne décide, dans le cadre d’une grossesse non désirée, de garder l’enfant. Si dans En cloque… le thème de l’avortement n’était quasiment pas évoqué, ici la jeune Juno change d’avis sur le chemin de la clinique après avoir croisé une camarade de lycée pro-life (anti-avortement) qui la fait fuir en lui disant qu’ « à ce stade de la grossesse, le bébé a déjà des ongles ». La scène a fait couler beaucoup d’encre entre les pro-life et les pro-choice (militants pour le droit à l’avortement) et peut effectivement étonner, voire carrément agacer dans un film s’adressant en partie au public adolescent, particulièrement quand on sait à quel point ce droit majeur est en péril aux États-Unis. Il serait foncièrement réducteur de ramener Juno à ce débat, d’autant que le réalisateur, la scénariste et l’actrice se défendent de remettre en question l’IVG – ce n’est d’ailleurs absolument pas le propos du film – mais à travers cette pirouette scénaristique indispensable pour justifier le choix de l’héroïne adolescente de garder l’enfant pour le faire adopter, force est de reconnaître que le film soulève maladroitement un débat un peu trop casse-gueule pour ses épaules fragiles.
Passé cet épisode, Juno s’attache surtout à brosser le portrait d’une ado qui tente tant bien que mal de cacher le fait qu’elle est complètement dépassée par les événements. Avec humour et beaucoup de finesse – malgré les dialogues souvent très crus et hilarants que Diablo Cody fait dire à ses personnages – le film capte avec talent une certaine jeunesse américaine, celle des banlieues dortoirs, des fans de rock alternatif et des lycées impersonnels. Trouvant le parfait équilibre entre situations improbables et justesse de ton, Jason Reitman et sa scénariste parviennent à tenir le cap jusqu’au bout, grandement aidés par l’irrésistible Ellen Page, qui donne suffisamment de nuances à son personnage pour réussir à atteindre quelque chose de totalement neuf avec un sujet qu’on a vu et revu cent fois (on n’est pas sérieux quand on a 17 ans, etc.).
Le reste est tout aussi sympathique, mais beaucoup moins original : c’est là que le bât blesse et que Juno peine un peu à s’éloigner de la formule gagnante qui fait les beaux jours de la comédie indépendante made in USA. Personnages secondaires hauts en couleurs, bande-son indie à souhait, fin en demi-teinte… rien ne vient perturber ce à quoi l’on s’attend, à savoir une heure et demi de cocasserie teintée d’analyse sociologique à la morale somme toute peu avant-gardiste : la famille, l’amour (le vrai) et les amis, y’a qu’ça de v’rai ! Dommage aussi que le couple de bobos qui veut adopter le bébé de Juno ne soit pas plus développé, d’autant plus que Reitman, Cody et leurs comédiens Jennifer Garner et Jason Bateman parviennent ça et là à dévier de la chronique adolescente en esquissant l’histoire de deux jeunes époux qui se rendent compte qu’ils n’ont déjà plus grand chose en commun. Dans leurs scènes, les deux acteurs dégagent une étrange mélancolie, mi-hystérique mi-ambiguë, qui offre la promesse d’un drame conjugal que l’on aurait aimé voir un peu plus étoffé. Mais Juno n’aurait pas vogué vers ses 100 millions de dollars, et le conte de fées n’aurait alors séduit que les cinéphiles, ce qui au royaume de l’American dream n’est jamais assez.