Ce n’est pas sans espoir et sans émotion que l’on voit apparaître en ouverture le symbole de la RKO, l’une des sociétés de production indépendantes les plus représentatives de l’âge d’or hollywoodien. Pourtant, rien n’y fait : cette histoire de relations amoureuses et amicales, dont le moteur musical n’est jamais réellement mis en scène, se perd dans les méandres de la répétition des mêmes fragments, des mêmes motifs, à peine nuancée par une pléiade d’acteurs sous-exploités.
L’inconsistance des rapports humains
Un quatuor de renom prépare l’anniversaire des vingt-cinq ans de sa formation en répétant le quatuor à cordes opus 131 de Beethoven. Yaron Zilberman ne fait pas dans la dentelle : il présente l’historique de chaque membre peu délicatement, et nous expose les problématiques de sa limpide dissertation. Peter est veuf, parkinsonien et donc futur violoncelliste retraité : il faudra l’isoler dans le cadre, s’attarder sur son sentiment de déchéance. Robert et Juliette Gelbart, violoniste et altiste, sont mariés : il faudra donc créer une crise (l’adultère est tout trouvé), monter un peu le volume sonore et, si le temps s’y prête, orchestrer une réconciliation en musique. Enfin, Daniel, le soliste, premier violon, est indépendant, extérieur aux abandons physiques et émotionnels : il fabrique des archets, se complaît dans sa solitude avant de trouver l’âme sœur. Autant de situations fabriquées, de schémas relationnels plaqués sur un groupe d’êtres qui semblent être réunis par la musique de façon aléatoire tant cette dernière est absente. Bruit de fond, simple présence sonore ou outil de soulignage émotionnel, le quatuor de Beethoven est un instrument comme un autre, et le groupe, qui navigue entre exigence professionnelle et naufrage intime, reste un ensemble anodin. Les décors sont transparents, la ville comme les intérieurs, sans intention, sans signification, sans sensibilité particulière. Le New York instantané qui se voudrait allenien n’est qu’amalgame de moments insensés sans saveur aucune.
L’écholalie comme forme inconsciente
L’absence de marque est criante : si les relations répondent à des schémas, leur passage à l’écran répondent à un instinct basique, un seul, celui de la description. Yaron Zilberman se concentre sur les visages en plan fixe, répète sans fin les mêmes logorrhées visuelles sans prendre le temps d’étreindre les émotions qui pourraient jaillir, sans le diluer non plus, sans faire œuvre de construction. N’est pas Guiraudie qui veut dans l’écholalie formelle : il manque indéniablement à ce Quatuor un enjeu. Un film comme Prova d’Orchestra (Fellini, 1978) chamboulait la répétition de son orchestre symphonique d’une multitude de points de vue, de chocs sonores et géométriques jusqu’au silence pacificateur. Zilberman, quant à lui, tente en vain de retrouver cette diversité en appelant au secours les références les plus évidentes (la peinture, la littérature, l’art avec un grand A) et les formes narratives (la mise en abyme) les plus éculées. Rien n’y fait, rien ne détourne du sentiment de paresse ou de manque d’imagination. Le cinéaste du fort plat Watermarks semble trouver suffisant de citer T.S. Eliot pour imprégner son film d’une réflexion sur le temps. Il fait de même avec ses acteurs, a priori peu coupables, dont la présence dialoguée suffirait à faire évoluer l’argument. Il faut un enjeu, un désir, une présence derrière les films pour que ceux-là apparaissent à l’écran. On ne ressent rien, ou presque, au visionnage de ce Quatuor, si ce n’est la descente lancinante de l’attention des ennuyés.