Plutôt marrant, le producteur du Village des ombres nous donne de vive voix cette consigne : « Si vous aimez le film, conseillez-le à ceux que vous aimez ; si vous ne l’aimez pas, conseillez-le à ceux que vous n’aimez pas — ça fera toujours des entrées. » On comprend bien la nécessité d’assurer le succès du film pour la boîte de production, Kobayashi — et c’est par égard pour le courage qu’il a fallu pour se lancer dans la production d’un film de genre français — exercice à risque — et pour les promesses esquissées par le Village des Ombres qu’on incitera à aller voir un film qui, par ailleurs, oscille entre le très bon, et le pas bon du tout.
Que faire en ce beau mois d’août 2008 ? Pourquoi ne pas aller passer du temps dans le riant bled de Ruiflec, France profonde ? Jeunes, fringants, beaux et gorgés de sève, une dizaine de jeunes gens se rendent donc dans le petit village susnommé. En terrain connu, le spectateur va donc se caler dans son siège, pour assister aux débauches luxurieuses d’usage, avant décanillage en règle par le tueur/monstre local. Et puis non. Deux voitures emmènent nos héros — frustrés d’avoir été en queue de convoi depuis le début, le conducteur de la seconde voiture double la première et disparaît dans la nuit. À peine quelques secondes plus tard, surgit la voiture, ouverte à tous les vents, maculée de crasse et surtout : vide de ses occupants, qui demeurent introuvables. Deux conclusions s’imposent : le Village des Ombres va receler de très bonnes idées, mystérieuses et efficaces à l’ancienne mode, et on n’est pas là pour rigoler, ni pour se laisser aller aux facilités du genre.
De bonnes idées, le film en propose plus d’une, avec notamment une très pertinente utilisation de son aspect de légende moderne — de celle qu’on écoute au coin du feu et dont les frissons subsistent malgré la chaleur de la cheminée. Avec la scène des deux voitures, qui assure le basculement dans le fantastique, le Village des Ombres verse dans un cinéma de genre qu’on désespérait de revoir aujourd’hui : un fantastique ancienne mode, plus proche de l’angoisse que de l’horreur, où mise en scène et jeu d’ombres forment l’essentiel du discours. En somme, un retour à l’élégance et à la subtilité des films de Georges Franju et Jacques Tourneur.
Malheureusement, si l’ombre du réalisateur de Vaudou plane sur le Village des ombres, celui-ci tombe également sous la coupe du jeu d’élimination sadique du slasher. Même remanié à sa sauce par le réalisateur — car, qu’on se le dise, Fouad Benhammou est un véritable connaisseur, et amateur, de fantastique, doté d’un style véritable –, le procédé montre ses limites. Ajoutez à cela un usage excessif et sur-explicatif du flash-back (quand celui-ci n’est pas pleinement ridicule, comme ces longues séquences situées dans le passé, que ne renierait pas un Laurent Boutonnat devenu amateur de filtres bilieux et de fond de teint version plâtre), et le Village des ombres s’avère alors tenir bien plus des débuts prometteurs mais bancals que de la véritable révélation.
Nanti d’un budget minuscule, tourné dans le village natal du réalisateur, le Village des ombres est un essai méritoire d’imposer un véritable style de mise en scène, débarrassé du gore et des facilités du torture-porn. Si cet essai n’est pas complètement transformé, il n’en demeure pas moins réellement intéressant. Fouad Benhammou cite explicitement Evil Dead de Sam Raimi (le Sam Raimi méchant) et Edward aux mains d’argent, de Tim Burton — un cocktail de références des plus prometteurs. Mais plus encore, c’est Howard Phillips Lovecraft — présent en personne dans le film, s’il vous plaît ! — qui préside à ce Village des ombres : un saint patron qui n’a, malheureusement, guère porté bonheur à ses multiples adaptateurs cinématographiques. L’auteur des Montagnes hallucinées est ici, au moins, dignement célébré par le scénario du film, qui se veut proche de ses nouvelles. En somme, ni Fouad Benhammou, ni les producteurs de Kobayashi n’ont choisi la facilité avec le Village des Ombres — faut-il alors s’étonner que leur volonté de trop en faire, et trop bien, desserve finalement le film ? Quoi qu’il en soit, cela ne doit aucunement occulter le courage de cette première production, et le talent manifeste de son réalisateur.