En 1998, Michel Ocelot se faisait connaître avec Kirikou et la sorcière et Princes et Princesses. Si le premier est, à juste titre, salué comme une référence du cinéma d’animation, le second aura peut-être eu plus de mal à trouver son public. Pourquoi ? Parce que, en continuateur de Lotte Reiniger, Michel Ocelot narrait ses contes de princes et des princesses en ombres chinoises, un choix narratif qui, face aux couleurs jaillissantes de Kirikou, paraissait plus austère, moins accessible. Le temps a parlé, et Princes et Princesses est devenu le classique qu’il mérite d’être. Les Contes de la nuit reprend son style visuel, avec un ajout de taille, qui pourrait tout changer : la 3D.
C’est même le seul enjeu artistique des Contes de la nuit, car, dès les premières images, le verdict tombe : Michel Ocelot n’a rien perdu de son talent de conteur, rien non plus de l’élégance de son trait, rien de sa tendresse un rien désabusée. Les Contes de la nuit est, en tout point, digne de Princes et Princesses : on peut d’ailleurs s’émerveiller de la façon dont celui-ci a résisté aux ravages du temps. Il y a fort à parier que ce diptyque (pour le moment) sera de ceux qui résisteront le mieux au temps – tandis que certains, tels qu’Azur et Asmar, apparaissent déjà plus datés.
Cette part de l’œuvre de Michel Ocelot est donc de celles qui, tels les contes des bardes anciens, dure et perdure. Pourtant, le réalisateur a choisi, cette fois, d’ancrer le film dans son époque, via une « innovation » qui fixe réellement le film dans le temps : la 3D. N’ayant jamais eu besoin d’un tel colifichet pour donner de la profondeur à son récit, Michel Ocelot étonne, par ce choix. Aurait-il quelque chose de plus à nous dire, des pistes narratives nouvelles à explorer ?
Il convient de s’interroger sur la place de la 3D dans le langage cinématographique – le procédé a‑t-il plus à nous offrir que de vulgaires sensations de train fantôme, de grand huit ? A‑t-il véritablement sa place dans le cinéma en tant que langage ? Le propos reste à débattre, et Michel Ocelot a certainement voix au chapitre. En effet, avec Princes et Princesses, il assumait pleinement la « platitude » de l’écran, la narration en deux dimensions. Les Contes de la nuit allaient-ils être une révolution, au sens premier du terme ?
C’est oublier que, déjà, Azur et Asmar contenaient leur part de 3D sans lunette (sans pour autant que la 3D soit plus proche d’un effet véritable de réel)… Michel Ocelot avait donc le désir d’inscrire ses films dans la profondeur du champ : c’est qu’il avait à s’en servir, c’est que son langage ne lui suffisait plus… Et pourtant : pour merveilleux qu’ils soient, Les Contes de la nuit semblent ne se servir de la 3D que pour quelques rares occasions véritablement légitimes : un dragon se dirigeant vers l’écran, la montée dans un escalier… Rien qui ne nous happe réellement, cependant. Le récit reste ancré dans les limites imposées par l’exercice des ombres chinoises, ces quelques effets en plus – ce qui les singularise, les rend presque inutiles, grossiers.
Reste que ces Contes demeurent tout à fait merveilleux. Le petit cinéma abandonné de Princes et Princesses accueille de nouveau la jeune fille, le jeune homme et le vieux monsieur. De nouveau, les merveilleux contes de Michel Ocelot parcourent le monde, prodiguant subtilement leur enseignement de tolérance, d’imagination et d’amour. Ce que les progrès de la technique ont apporté aux Contes de la nuit, c’est une beauté renouvelée dans les fonds, dans les couleurs – une beauté majestueuse qui vaut tous les procédés 3D, et s’en passerait aisément. Le rendez-vous de Michel Ocelot et de la 3D n’a pas accouché d’une rencontre prégnante – soit. Reste que le cinéaste demeure un formidable raconteur d’histoires, un indispensable baladin, et que 3D ou pas, ses merveilleux contes gardent intactes leur beauté et leur finesse.