Le documentaire de Marc Levin se présente comme une sorte d’enquête autour de la rumeur disant que des milliers de juifs ne sont pas allés travailler le 11-Septembre, car ils auraient été prévenus. Le 11-Septembre serait donc une des nouvelles manifestations du complot juif mondial, s’appuyant sur un livre, les Protocoles des Sages de Sion, faisant état de la volonté des Juifs de prendre le contrôle du monde, en prônant la haine. Marc Levin, juif lui-même, part ici à la recherche de ceux qui croient en la véracité de ces Protocoles, véritable best-seller, et qui contribuent à attiser l’antisémitisme et la haine d’Israël.
Marc Levin a réalisé aussi bien des fictions (Slam, 1997) que des documentaires (Godfathers and Sons en 2003, pour la série sur le blues produite par Martin Scorsese). C’est ici tout son talent documentaire qu’il retrouve, avec son désir d’explorer toutes les facettes de l’antisémitisme. Privilégiant la diversité des points de vue, Levin part interroger, caméra à l’épaule, aussi bien les jeunes de la rue que les « professionnels » de la haine et ceux qui sont persuadés que les Juifs agissent dans l’ombre pour étendre leur main-mise sur la politique, les médias, dans le seul but d’asseoir leur domination sur le monde. Les rencontres avec Shaun Walker, néonazi de la National Alliance, et Frank Weltner, créateur du site internet Jew Watch, qui répertorie toutes les actions des Juifs afin d’exercer une surveillance constante de leurs faits et gestes, constituent ainsi des sommets de haine policée, tellement aveugle qu’elle en est presque incroyable. De la rupture de stock des Protocoles, à la pile de Mein Kampf attendant commande, en passant par les bottes aux semelles à croix gammées (hé oui, cela existe), et les drapeaux nazis exportés partout dans le monde et passant les frontières comme des objets de contrebande, la visite fait sourire en même temps qu’elle fait froid dans le dos. L’antisémitisme, véritable produit marketing, est ici banalisé.
À l’inverse d’un Michael Moore pathétisant et moralisateur, Marc Levin ne se départit jamais d’un humour et d’une auto-dérision qui laissent au spectateur son libre arbitre. Face à un jeune interrogé dans la rue, qui transforme le nom du maire de New York, Giuliani, en « Jew-liani », Levin, loin de pointer sa mauvaise foi, éclate de rire. Ni couardise, ni démagogie, ce geste reflète l’honnêteté d’un homme qui ne cherche pas à imposer son point de vue, mais juste à mettre en évidence un courant de pensée. S’il ne fait pas changer d’avis les gens dans la rue, Levin confie toutefois cette mission à son film. C’est le spectateur qui, avec tous les éléments qui sont mis à sa disposition, est chargé de prendre conscience de la prolifération et du danger de cette haine. Levin parle de l’antisémitisme, bien sûr, mais surtout du danger que représente toutes les formes de haine cultivées envers ceux qui sont différents. Levin provoque en nous une prise de conscience nécessaire, mais sans rien nous imposer.
Si l’on est touché, c’est parce que les faits sont là, dans toute leur émotion, leur absurdité, leur injustice, en fonction de la situation évoquée. Point n’est besoin de les diaboliser, ils parlent d’eux-mêmes. Choc devant la mise à mort, diffusée sur une télévision hors champ, d’un journaliste juif ; révolte devant le discours d’une petite musulmane, qui du haut de ses six ans, répète la haine du Juif qu’on lui a sûrement inculquée ; incompréhension à la vision des images des séries télévisées diffusées dans le monde musulman, choquantes de haine envers les Juifs, à la limite de la propagande ; enfin, émotion avec ce vieux monsieur survivant des camps, qui a décidé de se battre et de survivre pour pouvoir raconter ce qui s’était passé.
La construction rigoureuse du film a le mérite d’explorer les différentes pistes avec une grande logique, et une clarté qui permet même aux spectateurs qui ne sont pas familiers des thèmes abordés de comprendre les enjeux de l’enquête. Levin s’intéresse d’abord à la rumeur, puis aux différentes manifestations de l’antisémitisme, avant de s’interroger sur ses origines, puisque la haine des Juifs serait née quand l’un d’eux a dénoncé Jésus. Son parcours vise à mettre en évidence cette rumeur, ce fantasme qui est à l’origine de la haine des Juifs, que l’on pourrait opposer à l’islamophobie croissante qui, elle, se nourrit de faits réels, notamment les attentats revendiqués par Al Qaïda.
Dur constat d’une réalité alarmante, Les Protocoles de la rumeur délivre surtout un message humaniste. Levin veut avant tout comprendre, non s’opposer. En allant lui-même à la rencontre d’antisémites sans attiser la haine et sans provoquer de conflits avec eux, Marc Levin prouve que les êtres humains, quelles que soient leur religion ou leurs croyances, peuvent cohabiter dans la paix. Message utopique ? Peut-être, mais il est bon d’y croire encore.