Ah l’été… ses bons sentiments, ses productions surcadrées, ses comédies censées révéler le ou la futur(e) grande star du box-office ! On attendait la douceur estivale avec tant d’impatience qu’on en oublierait presque qu’elle est également la déchetterie des navets qui ne sortent pas à Noël. En témoigne cette fresque ridicule qui, après moult aléas de distribution, sort en France trois ans après la fin du tournage… on le regrette.
François Girard, réalisateur de Soie, sera peut-être reconnu par certains comme le créateur du dégoulinant Violon rouge de 1999. Mais c’est surtout du roman sulfureux d’Alessandro Baricco dont on se souvient, sorti en 1996 : conte érotique qui mettait en parallèle la douceur du tissu et le contact des corps, il avait évidemment raflé la mise. Sans être fanatique du roman, on pouvait lui trouver quelques qualités dans la simplicité brute des émotions. Ici, on peine à trouver la moindre qualité à un flot de plans mis bout à bout sans profondeur aucune : Soie est une longue bande-annonce qui ne raconte rien, qui ne filme rien, et duquel, logiquement, rien ne sort. Sortie à l’époque de Love Actually et d’Orgueil et préjugés, Keira Knightley interprète Hélène, femme d’Hervé (Michael Pitt), bobonne qui attend son VRP en vers à soie de mari. Nous sommes sous le Second Empire, elle veut un enfant, mais Hervé n’est jamais là ; et lorsque c’est le cas, il pense à la somptueuse Japonaise qu’il a « croisée » lors d’un des nombreux voyages auxquels son métier l’oblige. Dur dur d’être une femme seule, dur dur d’être amoureux d’une jeune fille mystérieuse à souhait (forcément, elle est japonaise)… Girard n’est pas à un cliché près : il parsème son film de « réflexions » médiocres sur les contrées qu’il visite − au pas de course − et les relations humaines. Au cours d’un de ses voyages au Japon, Hervé se verra ainsi donner une leçon de zen par le maître de ces lieux (forcément, il est japonais) : ce dernier va donc philosopher sur le vol des oiseaux durant quelques minutes. Jean-Claude Van Damme serait-il de la partie ?
Nos héros ont la vie dure. Le spectateur aussi. Non content de nous escagasser dès le départ avec une voix off insupportable (dans un style très bucolique « il y avait la mer, le vent dans ses cheveux et les flots de larmes », on exagère à peine), François Girard affuble son film de deux personnages complètement vides : Hélène est belle (K. Knightley en devient mièvre), elle sourit ou fait la moue car, de temps à autre, la beauté insatisfaite est le comble du malheur. Ce qui aurait pu être de la retenue n’est que la fadeur. Mais le pompon, la médaille d’or, le maillot jaune revient à Michael Pitt, totalement inexpressif dans le rôle du martyr des différences culturelles, faussement insondable, qui est à la douleur enfermée ce que le ketchup est à la tomate. On en vient rapidement à douter de l’intérêt des auteurs pour ces personnages tant ils sont exempts d’histoire, d’épaisseur, de profondeur. Chaque plan dure dix secondes, chaque scène un peu plus, comme si le scénario ne méritait aucun développement, aucun égarement − alors qu’il s’agit justement de cela. Tout est vain, tout est naïf : les scènes sensuelles qui avaient fait les choux gras de la presse littéraire à la sortie du roman sont filmées comme dans La Boum. La lumière et l’ombre se confondent, dans des images adolescentes et ternes. Et les fameux voyages me direz-vous ? Pour les matérialiser, nous aurons droit à une série de cartes postales et de décors de carton-pâte en plan fixe − un voyage en mer = un bateau ; un voyage au Japon = futons et thé). Soie ne traite ni ses sujets (l’amour interdit, l’attente, la sensualité, l’exotique), ni ses espaces : c’est une longue multiplication de clichés, une représentation de l’érotisme et du désir à deux francs six sous essentiellement fondée sur une musique sirupeuse. On défendrait l’artifice sous beaucoup d’angles… mais pas celui-ci.