Face à un paysage de cinéma où se bousculent bien trop de films formatés, la démarche de Sound of Noise ne pourra être que louée. Prolongement scénarisé de l’excellent court-métrage Music for an Apartment and Six Drummers, cet ovni fait figure de pellicule pop et excentrique. Manifeste d’un cinéma qui s’acoquine avec le clip et questionne avec humour la pollution sonore de nos cités, il sait, pour son meilleur, élever un cinéma qui outrepasse son verbiage pour l’entraîner vers sa pure dynamique.
Peu de films travaillent et interrogent la palette sonore et bruitiste que le cinéma devrait prendre plus souvent à son compte. On constate aussi que, même si certains cinéastes s’y attellent, la critique peine souvent à la traduire et lui donner la pleine mesure de ce qu’elle impose à l’immersion audiovisuelle. On ne peut donc rester insensible ni échapper à ce que l’expérience de Sound of Noise délivre.
Dans un futur très proche, des mélodies aseptisées s’échappent des enceintes des villes sans que la majorité des citadins n’y prêtent attention. Pourtant ces dernières scandent le quotidien, parasitent une réalité à laquelle on cherche à lui imposer une couleur (monochrome) et des accents mièvres. Vulgarisation de la musique, multiplication de ses sources : ce courant circule et peut bien être considéré comme une interférence pour ceux qui, en retour, perçoivent dans les bruits et autres distorsions la mélodie du quotidien (du bonheur ?). Ce constat est comme le point de départ de Sound of Noise.
Ancienne licenciée d’une école de musique, l’iconoclaste Anna engage six percussionnistes pour bousculer cette réalité et mettre en action un plan musical de grande ampleur. Grâce à une partition apocalyptique, l’idée est de s’appuyer sur les bruits de la ville et de les sur amplifier au travers cinq happenings musicaux. On touche à une forme terrorisme musical quand ces six batteurs frondeurs choisissent des lieux d’attaque (hôpital, banque, opéra…) qui bousculent l’espace public et obligent la population à subir ces électrochocs. Et le scénario de Sound of Noise d’imaginer un polar autour de l’enquête d’un policier (Amadeus) qui, censé intervenir contre ses attaques, est allergique aux battements de la musique.
Comme l’ont dévoilé certaines séquences de Rubber, la question est de savoir si les rythmiques du clip ne viendraient pas parfois à la rescousse d’un cinéma qui ne prend plus la mesure de ses propriétés dynamiques. Car, et même, si leur structure répétitive empêche chaque récit de se maintenir sur la durée, ce film et Sound of Noise viennent nous narguer de ce que l’on perd aujourd’hui en termes de jouissance rythmique. Le programme de Sound of Noise chercherait à réhabiliter un cinéma d’écoute où la prise de vue n’en demeure pas moins une prise de son. Il s’agit ici de revenir à une forme primitive pour donner relief à un environnement et d’offrir à ses objets une tonalité qui dépasse leur seule fonction.
Plus concrètement, cela se traduira dans la séquence d’ouverture où, caméra embarquée dans un minibus, l’image s’efface derrière le son produit alors que le montage enfile des fragments pour développer une cadence tonitruante. La force de la séquence tient à ce que, là où des films simulent une dynamique en habillant leur fond sonore, c’est une batterie, invisible au départ, qui se révèle et ne se cache plus d’impulser un tempo. C’est tout le brio du film de revenir à des formes qui pourraient s’apparenter à aux premières constructions du cinéma expérimental (Hans Richter) ou du moins à des collages, comme le clip, qui se fondent principalement sur un principe rythmique.
Malgré cela, l’improbable noce de ces jeux rythmiques et de l’histoire qui les tisse pose problème. On voit bien que Sound of Noise brode une fable qui ne brille pas par son épaisseur face aux mille feuilles bruitistes qui jalonnent le film. A côté des puissantes percussions et la jouissance perceptive qui découlent de ces pièces montées, certains segments de l’histoire sonnent un peu ternes et comme empêchés par un rythme qu’ils ne savent jamais contrebalancer. Malgré cela, le personnage de flic, dont l’ouïe développée lui rend désagréable la proximité de la musique, garde une dimension burlesque et fantaisiste qui, proche des personnages de Roy Andersson, n’est jamais déplaisante. Son rapport aux bruits va ainsi évoluer au fur et à mesure du film et offrir une palette d’effets sonores qui équilibrent un tant soit peu la puissance des pièces montées.
Proposition jouissive de cinéma, Sound of Noise enivrera ceux qui se délectent de constructions rythmiques farfelues. D’une fraîcheur absolue, cette expérience révèle surtout que le cinéma, obnubilé par de plates illustrations de scénario, ne sait plus vraiment s’amuser ni travailler les matériaux dont il dispose. Derrière la comédie et son défi musical, Sound of Noise devrait mettre à l’épreuve et terroriser toute une fournée de films qui, mis en boite, parviennent difficilement à s’accorder avec le cinéma.