C’est triste à dire, mais pour exprimer ce que l’on ressent à la vision du second long métrage de Marc Fitoussi, dont la mise en scène s’avère redoutablement incolore et inodore, on pourrait presque se contenter de reprendre mot pour mot ce que Fabien Reyre écrivait ici-même à propos du premier, La Vie d’artiste, sorti il y a trois ans : « énième avatar de la comédie française à petit budget, pas désagréable à regarder, mais qui repose exclusivement sur son scénario (inégal) et ses comédiens (très bons, heureusement) ». Était-ce parce que la dernière édition cannoise s’est révélée globalement décevante, qu’une toute petite chose comme ce Copacabana (présenté à la Semaine de la Critique) a suscité l’indulgence d’une bonne partie de la critique, séduite par ce « feel-good movie » à la française au point d’oublier la pauvreté de sa vision du monde social ?
À Tourcoing, Babou, une femme d’âge mûr qui se comporte encore en ado irresponsable, vivote et cultive son excentricité jusqu’au jour où sa propre fille lui annonce qu’elle a trop honte d’elle pour l’inviter à son mariage. Bien décidée à lui prouver qu’elle peut prendre sa vie en main, Babou décroche un emploi et s’installe à Ostende pour y vendre des appartements en multipropriété.
On sent bien que Marc Fitoussi a cherché à créer des effets comiques de l’affrontement générationnel entre les baby-boomers, héritiers de la bohème soixante-huitarde, et leur progéniture aux valeurs plus conformistes et aux aspirations ouvertement matérialistes, voire bourgeoises. Illustré par une série d’oppositions scénaristiques faciles (la mère aide un couple de clochards qui dégoûtent la fille ; la mère est contre le concept-même de mariage alors que sa fille ne rêve que de normalité et de stabilité, etc.), ce diagnostic n’est pas forcément d’une grande pertinence – la génération des Trente Glorieuses rencontrant globalement beaucoup moins de difficultés socio-économiques que celle qui lui a succédé. Et de fait, la situation matérielle de Babou n’est pas très crédible : cette marginale à qui la marginalité ne pèse pas, image riante et confortable de la précarité comme choix de vie, parle sans cesse de ses soucis d’argent sans que ceux-ci ne transparaissent jamais à l’écran ; et si elle se décide à trouver un boulot, c’est visiblement moins pour une question de survie que pour retrouver grâce aux yeux de sa fille…
Le potentiel comique et dramatique de cette opposition mère/fille est de toute façon désamorcé par la partialité de la mise en scène et du scénario, qui se placent avec tellement d’insistance du côté du personnage d’Isabelle Huppert – une de ces inoffensives fofolles dont raffole le cinéma français –, que la pauvre Lolita Chammah n’a plus grand-chose à défendre. Il se trouve qu’Isabelle H. et Lolita C. sont non seulement mère et fille dans le film, mais également à la ville – ce que les télévisions et gazettes ne manqueront pas de marteler dans les jours à venir. Comme la première vampirise, comme à son habitude, la totalité des scènes, au point de laisser bien peu de place à ses partenaires, et que la seconde, quant à elle, ne dispose manifestement pas d’un registre de jeu très étendu, aucune alchimie ne se dégage de cette confrontation Huppert et fille, réduite dès lors à un argument people un peu foireux qui n’est pas sans rappeler celui du récent et embarrassant Ça commence par la fin.
Le spectacle d’une des plus grandes stars du cinéma français, habituée qui plus est à des rôles de bourgeoises coincées, perdue dans la jungle des boulots précaires et de la dèche au quotidien, avait de quoi intriguer. De fait, le film décolle un peu une fois qu’il se pose à Ostende et qu’il observe les rouages de l’entreprise où a échoué Babou. Reste que la violence sociale qui s’y exprime est présentée avant tout comme un ressort comique, et que le discours managérial, acide et avilissant, des deux responsables d’équipe ne s’adresse pas au personnage d’Huppert (qui réussit tout ce qu’elle entreprend), mais à ses collègues d’infortune présentés comme des losers geignards et antipathiques qui ne sont pas loin de mériter d’être pauvres et humiliés.
Le deus ex machina final, en plus d’être narrativement très pauvre, achève de rentre antipathique la vision du monde social qu’exprime le film : c’est en misant sur la bonne couleur au casino que Babou résoudra tous ses problèmes et pourra illuminer le mariage de sa fille (au point une nouvelle fois de lui voler la vedette)… Les autres personnages, ceux qui sont restés dans la grise Ostende et pour qui un voyage à Copacabana ne sera jamais qu’un doux rêve inatteignable, continueront quant à eux de refourguer des appartements minables à des touristes crédules. Entièrement concentré sur la désinvolture de son personnage principal, Marc Fitoussi en vient à faire lui aussi preuve d’une désinvolture coupable envers ces petites gens que son film prétend pourtant défendre.