De bon matin, ou comment, un beau jour, un banquier tout ce qu’il y a de plus normal, en passe d’être broyé par le Système, décide de prendre les armes : avec un pitch qui n’est pas sans évoquer le redoutablement racoleur Chute libre de Joel Schumacher, Jean-Marc Moutout signe un film qui colle à l’actualité de vertigineuse façon – et qui choisit, avec un glaçant courage, de ne pas proposer de solution.
Que ce soit à la lecture du pitch du film ou à la vision de la bande-annonce, on ne peut qu’être saisi par les rapports qu’entretient De bon matin avec l’actualité. Noyée sous les annonces anxiogènes, l’actualité qui accompagne la sortie du film souligne comme rarement l’impuissance de tout un chacun face aux emballements, de Charybde en Scylla, de l’économie mondiale. Nous poursuivrons la métaphore mythologique, tant l’image de tourbillon noirâtre, entropique et sans âme, convient aux mouvements de crise dont nous sommes contemporains.
Et dont Paul, le personnage de Jean-Pierre Darroussin, est tout aussi contemporain. Cependant, lui va choisir de prendre, pour un temps, les rênes de son existence, quitte à plonger irrémédiablement au fond du tourbillon. De l’acte de Paul, Jean-Marc Moutout ne fait pas mystère : l’employé de banque va abattre les deux bureaucrates dépêchés par la direction nationale pour dégraisser dans les rangs de la banque et rassurer les actionnaires. De son destin, nul, également, n’est dupe. Mais ce n’est pas ce qui intéresse Jean-Marc Moutout.
Ainsi, le meurtre intervient dans les premières minutes, et la conclusion, donc, n’est guère mystérieuse. Ce qui demeure dans le vague, ce sont les moments qui ont mené Paul à accomplir cet acte irrémédiable. Le personnage lui-même s’interroge dans les premières images : comment en est-il arrivé là ? Et de ne pas vraiment savoir « comment tout ça a commencé ». Est-ce parce que l’actualité de la France est celle d’une économie incertaine, à la dérive, que le film de Jean-Marc Moutout sonne comme une métaphore de cette situation ?
Le film ne répondra à cette question que de façon parcellaire : Jean-Marc Moutout va, ainsi, suivre la pensée de Paul alors que celui-ci semble revivre sa vie. Au gré de ses souvenirs, des événements plus ou moins fondamentaux de son existence, Paul va dresser son propre portrait, sans le moindre souci de chronologie. Cela tient également à la volonté, manifeste, du réalisateur-scénariste de souligner combien ce sont les événements les plus fortuits qui peuvent avoir une importance cruciale. Jean-Marc Moutout fait donc le choix de la déconstruction chronologique, de la constitution par petites touches d’un personnage, d’un homme, d’un réel.
De bon matin est traversé des images de nudité de Jean-Pierre Darroussin : autant que dans ces images, c’est le cœur de l’homme qui est mis à nu, sans intrigue, sans même un enjeu. L’acmé est abordée dans les premières minutes, l’issue est connue : reste à parcourir le chemin, dans le labyrinthe d’une existence. Et, c’est dans ce labyrinthe, encore une fois mythologique, que nous quitterons les voies parallèles à celle de Thésée tuant le Minotaure – car ni Paul, ni le réalisateur ne trouvent rimes ni raison à la comédie absurde qui se joue ici. Pas de coupable, pas de solution : rien que la fatalité, et les deux visages de Paul-Janus – le héros grandiose, et le Don Quichotte inutile. Loin du récit à thèse opportuniste, du pamphlet à la hargne vengeresse, De bon matin souligne la complexité de l’homme, et tout ce qu’il y a de grandiose, de terrifiant et de dérisoire à se soulever contre l’inflexible.