Deuxième long-métrage d’Angelina Jolie, Invincible n’est pas un biopic à proprement parler, puisqu’il ne s’intéresse qu’aux exploits de Louis Zamperini pendant la Seconde Guerre mondiale, émaillés de flash-back sur sa turbulente jeunesse et sa participation aux jeux olympiques de 1936. Ce fils d’immigrants italiens, qui trouva dans la course à pied la discipline qui lui manquait, survécut au crash de son bombardier en plein Pacifique, avant d’être fait prisonnier par la marine japonaise, au terme d’une dérive de 47 jours sur un canot de sauvetage avec deux compagnons d’infortune. Zamperini n’était pas au bout de ses peines : interné dans un camp, il fut tourmenté de manière répétée pendant presque deux ans par un tortionnaire nippon qui fit de lui sa bête noire. Mais, on l’aura compris, il en fallait plus pour briser ce monument de positivité américaine (d’où le titre, piètre traduction d’Unbroken).
Héroïsme méta
Les destins remarquables font souvent des adaptations convenues. Empêtré dans un programme d’évangélisation des masses, Invincible ne fait guère exception à cette règle. Décalque softcore de Furyo, le film évacue la cruauté et l’ambiguïté qui faisaient le prix de celui de Nagisa Oshima, préférant célébrer les valeurs, forcément patriotiques, de résistance, d’intégrité et de solidarité face à l’adversité. La réalisation fait illusion quelques minutes, le temps d’une scène de combat aérien virevoltante, rythmée par le ballet des chasseurs zéro japonais et les manœuvres invraisemblables auxquelles doivent se livrer les G.I. pour piloter ce mastodonte des cieux qu’était le B‑24. Une poignée de plans magnifiques, privilégiant des angles inattendus, laisse entrevoir la chute silencieuse des avions abattus, qui glissent de la ligne de mire vers les eaux du Pacifique.
C’est le seul instant de grâce d’une œuvre qui sombre dans l’hagiographie pure et simple dès qu’elle met le pied à terre. Conçue comme une vie de saint, cette ode à la résilience invite le spectateur à tirer les leçons qui s’imposent devant un héroïsme si définitif. Nul doute que Zamperini, qu’une série d’épreuves insensées n’ont jamais fait flancher, était un individu digne de la plus haute admiration. Mais pourquoi en faire ce personnage unidimensionnel que campe Jack O’Connell avec l’assurance un peu crâne des jeunes premiers ? Pourquoi faire tenir sa vie passée dans un best of des moments emblématiques de sa force de caractère ? Obnubilé par son courage hors du commun, Invincible dénie à Zamperini toute épaisseur psychologique, comme si cet homme avait été immun au moindre doute, à la moindre faiblesse.
Oscarisable à merci
Là où Clint Eastwood, dans Mémoires de nos pères, parvenait à montrer l’envers fissuré de l’héroïsme yankee, les frères Coen, coauteurs du scénario (on peine à le croire), accouchent ici d’un script binaire, avec d’un côté les sympathiques alliés, de l’autre, les odieux Japonais, et comme ligne de démarcation, le chemin de croix de Zamperini. Ce n’est pas tant la brutalité des traitements que celui-ci subit qui détourne le regard, mais plutôt le dolorisme insupportable dans lequel baigne leur représentation. Toute violence réelle est ici résorbée dans l’écrin de la photographie de Roger Deakins, qui aborde chaque extérieur comme un Golgotha éclairé au soleil levant. Cette Passion fléchée comme un parcours d’étapes se devait d’avoir sa Crucifixion. Elle est d’un sentimentalisme effarant : dans un ultime supplice, un Zamperini famélique, mais toujours aussi inflexible, brandit une planche au-dessus de sa tête, et la maintient au prix d’un effort surhumain, défiant son bourreau, le tout sur fond de réminiscences sépias de sa splendeur d’athlète de haut niveau et de soupe musicale servie par Alexandre Desplat. Pétri de bonnes intentions, mais confit d’académisme, Invincible est un spectacle de fin d’année idoine pour la saison des Oscars. Avec sa distribution de bellâtres en uniformes et sa vertu édifiante, il devrait repartir avec une statuette. À moins que Coldplay, responsable de la chanson de générique de fin, ne soit l’heureux gagnant. Tout est permis, elle s’intitule « Miracles ».