Si on s’est réjoui de voir la comédie américaine – et le teen movie avec elle – prendre ces dernières années un tour plus subtil et mieux composé, il est tout aussi plaisant de voir aujourd’hui le cinéma européen suivre la tendance. De la musique folk qui l’accompagne à la trame de son récit, L’Éveil d’Edoardo semble d’inspiration très clairement anglo-saxonne. Il puise du côté de l’indé américain, de la comédie romantique surtout, dont le film épouse les obsessions. Par son anecdote, il convoque avant tout ses prédécesseurs American Pie et SuperGrave. Mais c’est en filmant la trajectoire de son protagoniste (qui veut perdre sa virginité avant la fin de l’été) que Duccio Chiarini offre à un récit d’initiation sa pâte sensible et astucieuse, transformant l’exercice rebattu en comédie adolescente de première qualité.
C’est donc l’été, un été décisif pour Edoardo et son copain Arturo, qui veulent sauter le pas avant la rentrée. Les occasions ne manquent pas pour le jeune homme dont l’intelligence et la touchante réserve séduisent facilement les filles. Son problème, c’est une petite malformation génitale qu’il n’a osé avouer à personne, mais qui constitue un obstacle de taille : un prépuce trop resserré, qui l’empêche même de se masturber à cause de la douleur. Dans ces conditions, comment envisager de passer le cap avec une fille, alors que le désir le ronge, mais que la circoncision le terrorise ?
Octopussy & pornoperas
Le symbole est évident, un peu trop pourrait-on craindre… Or la première et grande qualité de L’Éveil d’Edoardo tient à la cohérence scénaristique du film. Avec finesse et beaucoup d’humour, les scénaristes multiplient au fil de l’intrigue les évocations, verbales ou visuelles, de la perte de virginité – et de l’épreuve qu’elle constitue pour Edoardo. Le film et ses dialogues filent une multitude de métaphores autour de cette étape décisive, de manière plus ou moins crue, plus ou moins drôle. C’est toute l’intelligence de L’Éveil d’Edoardo que d’être ainsi capable de manier la crudité du propos (en tout cas du point de vue de son jeune protagoniste, désemparé et qui se fait une montagne de cette peau qui le handicape) en en proposant des déclinaisons ingénieuses et grotesques. C’est ce qui désamorce l’angoisse du personnage en créant un écart comique avec son désarroi – la perte de virginité se retrouve dans la reproduction du chien, le dressage d’une tente de camping, la peur de sortir sa tête par la fenêtre d’un train en marche. Ce double jeu, porté par une ambivalence constante sur les dialogues notamment, permet d’adoucir la pesanteur du sujet en n’ayant jamais peur d’incarner cette perte de virginité dans ce qu’elle a de plus littéral.
De ses grands frères américains, L’Eveil d’Edoardo a très bien intégré la maîtrise des dialogues – ceux qui ont le double sens symbolique dont on a parlé, mais aussi ceux, plus terre à terre et univoques, qui mettent en scènes les deux compères (Edoardo et Arturo). Ces dialogues libres et délurés, mélange de clairvoyance et de naïveté puérile, réinventent une culture commune et sont eux aussi riches et inventifs. Ils participent de l’esprit de ce joli film.
Mes petites amoureuses
S’il ne s’engourdit jamais grâce à son décalage perpétuel, c’est bien dans sa représentation du corps – qui pose l’organique comme origine de la sensibilité – que L’Éveil d’Edoardo s’envole. Edoardo se métamorphose au fil de trois scènes qui posent les bases de sa sensualité. Il y a bien sûr l’équivalent de la tarte d’American Pie – ici donc un poulpe et une scène étrangement touchante : Edoardo se masturbe, pour la première fois. Mais ce sont deux scènes sensuelles et mises en scène sans fausse pudeur qui soulignent encore la subtilité du film. L’une est fantasmatique, l’autre bien tangible, et toutes deux sont menées par les jeunes femmes – et marquent à chaque fois un gouffre franchi par le protagoniste : vers son désir, vers la vie, et avec une grande douceur.
La prise d’assurance est franche et belle à voir, au-delà des doubles sens comiques, car elle se joue des codes sur la sensibilité. Rendre ainsi lourdement physique la perte de virginité d’un garçon, c’est déjà s’interroger sur les sexes et la qualité de L’Éveil d’Edoardo est d’offrir ces différents niveaux de lecture, discrets mais organisés en grande cohérence. Derrière la trame éculée de la coming of age comedy, le film inverse les rôles avec ce qu’il faut de culot, et transforme la littéralité de ses motifs en un grand sourire.