En 2007, puis en 2008, deux séries de courts métrages mettant en scène le personnage créé par Zdeněk Miler au milieu des années cinquante, La Petite Taupe, puis ses « Nouvelles Aventures », ont connu une sortie triomphale dans les salles françaises grâce au travail défricheur et patient du distributeur Les Films du Préau. Bénéficiant d’une sortie au long cours, qui s’appuie sur l’entrée de ces programmes dans les dispositifs scolaires de sensibilisation au cinéma, le personnage est devenu une superstar pour les tout petits, à égalité avec Kirikou. Les enfants qui ont découvert ces premières sorties sont déjà grands, et la nouvelle sélection d’aventures s’adresse plutôt à leurs petits frères et sœurs. Le Carnaval de la petite taupe reprend cinq nouveaux épisodes, déjà édités en DVD par Arte Vidéo, mais inédits dans les salles françaises, et que Les Films du Préau regroupe sous la forme d’un programme original.
Zdeněk Miler a commencé sa carrière de cinéaste dans les studios d’animation de son pays à une époque où celle-ci était extrêmement prise au sérieux par l’état tchèque et ses occupants successifs, le régime nazi, puis soviétique. Considérée comme un outil d’éducation et de propagande intérieurs efficace, autant que comme un moyen de rayonnement à l’international, les moyens mis dans l’animation ont été considérables. Si les Tchèques sont davantage connus pour leur travail sur l’animation en volume, Miler, lui, s’est toujours consacré au dessin, que ce soit pour la Taupe, comme son autre personnage récurrent, le chien Poupi ou le Criquet, ou même ses films pour adultes. La délicatesse apportée aux décors tout autant que la beauté des couleurs frappent toujours dans ces aventures de la Taupe, comme dans les précédents programmes. Auteur de la série des Poupi, qui mettent en scène un chien naïf et curieux devant le monde, les films de Miler sont toujours mus par une volonté pédagogique de faire comprendre certains phénomènes aux enfants (la formation des nuages, par exemple, pour Poupi).
Pourtant, ce qui, dans les films qui mettent en scène le petit chien, peut être parfois lourdement didactique, ne l’est jamais chez la taupe. Si chacun des cinquante courts métrages imaginés entre 1956 et 2002 mettent toujours le petit animal aux prises avec un élément du monde qu’il ne comprend pas, Miler parvient toujours à tirer une forme de poésie et d’inventivité dans cette naïveté. Depuis le premier épisode, ou elle apprenait comment son pantalon avait été confectionné avec de la toile de lin, la petite taupe regarde le monde qui l’entoure avec curiosité, tout en cherchant à l’apprivoiser.
C’est le cas du parapluie sur lequel elle tombe par hasard, et qui, face à son incapacité à en faire bon usage, se transforme en bateau ou en objet volant, tout comme la sucette qu’elle découvre, et dont elle essaie d’imaginer les modes d’utilisation.
Telle un Buster Keaton de la forêt, la petite taupe se méprend sans cesse sur le bon usage des objets qui viennent à sa rencontre, ce qui la conduit à des situations burlesques à travers le détournement d’objets de la vie courante. Pleine de bonne volonté, elle s’efforce d’envisager des solutions à ce qui tourne mal (faire fonctionner un tuyau d’arrosage percé, utiliser un parapluie). Vaillante, elle se montre également prête à affronter les dangers qui menacent, comme le chien féroce qui la poursuit, le plus souvent aidée de ses amis.
Juste à la lisière de la forêt idéale où vit la taupe, entourée d’amis toujours prêts à l’aider apparaît parfois le monde des hommes. L’incompréhension de la taupe face à cet univers urbain dénote également d’un regard farouchement critique de la part de Miler sur la société moderne et son avidité de consommation, au point que la petite taupe, désireuse de fêter Noël, ira en ville acquérir un sapin décoré, qu’elle viendra installer devant chez elle… dans la forêt.